Écho de presse

Émile Zola interviewé sur l'interview

le 04/06/2018 par Pierre Ancery
le 10/01/2017 par Pierre Ancery - modifié le 04/06/2018
Emile Zola ; Atelier Nadar ; Source Gallica BnF

En 1893, Le Figaro interroge Zola : que pense-t-il des interviews ? L'illustre écrivain ne mâche pas ses mots...

Lorsque Henry Leyret, du Figaro, interroge Émile Zola pour le numéro du 12 janvier 1893, l'auteur de Germinal est alors au sommet de sa gloire. Le journaliste le qualifie même d'"homme le plus interviewé de France" ! Leyret a une idée originale : demander au célèbre romancier ce qu'il pense de... l'interview, un genre apparu très récemment, dans les vingt dernières années du XIXe siècle. Zola ne se fait pas prier. D'après lui, les rédacteurs en chef ont tort de réserver cet exercice journalistique à des reporters inexpérimentés.

" C'est une chose excessivement grave qui, pour être bien faite, exige d'énormes connaissances.  Il faut avoir l'usage de la vie, savoir où l'on va, connaître au moins par ses œuvres l'homme chez qui l'on se rend, approfondir la question qu'on doit lui soumettre, savoir écouter, prendre tout ce que l'on vous dit, mais dans le sens où on le dit, interpréter avec sagacité et ne pas se contenter de reproduire textuellement. […] Non, l'interviewer ne doit pas être un vulgaire perroquet, il lui faut tout rétablir, le milieu, les circonstances, la physionomie de son interlocuteur, enfin faire œuvre d'homme de talent, tout en respectant la pensée d'autrui."

Il s'en prend ensuite aux journalistes qui falsifient les propos de l'interviewé, et s'attaque aux articles faits à la va-vite :

" L'interview est une chose très compliquée, extrêmement délicate, pas facile du tout. […] Les journaux devraient donc confier les interviews à des têtes de ligne, à des écrivains de premier ordre, des romanciers extrêmement habiles, qui, eux, sauraient tout remettre au point. Mais voilà : les hommes de grand talent sont employés à autre chose... Heureusement pour eux !

Alors ?

Alors, que voulez-vous ? Si l'interview, telle qu'elle est pratiquée par ce temps de journalisme à la vapeur, bâclée en vingt minutes, rédigée à la va comme-je-te-pousse, écrite au galop sur une table de café, à côté d'un vermout ou d'une absinthe, si elle est le plus souvent un fleuve d'erreurs, elle n'en reste pas moins l'un des principaux éléments du journalisme contemporain : d'abord parce qu'elle en est la partie la plus vivante, ensuite parce qu'elle est le joujou préféré du public !"

Mais est-on sûr que Zola a vraiment prononcé ces paroles ? Ou bien faut-il le prendre au mot, et s'en remettre à ce que, au moment où son interlocuteur le quitte, le romancier ajoute malicieusement :

" Je déclare que tout ce qu'un interviewer peut me prêter est comme non avenu. Oui, je l'ai déjà dit, je ne reconnais pour mon opinion que celle que j'ai moi-même exprimée par ma plume. Par conséquent, je déclare refuser tout caractère d'authenticité à toute interview de moi, quelle qu'elle soit !"

 

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