Écho de presse

1889 : le boulangisme divise la presse

le 21/07/2019 par Pierre Ancery
le 24/03/2017 par Pierre Ancery - modifié le 21/07/2019
Le général Boulanger dans La Caricature du 23 février 1889 ; source RetroNews BnF

A la fin des années 1880, le phénomène boulangiste, jouant sur les passions antiparlementaires, met à l’épreuve la Troisième République. La candidature de Boulanger à Paris, en janvier 1889, déchaîne les passions.

La Lanterne, 21 janvier 1889 :

"Le général Boulanger, sentant que ses efforts ne mordent pas sur Paris, s'est adressé à la banlieue. […] Cet homme qui parle d'égalité veut refaire des classes. Il s'adresse aujourd'hui aux ouvriers. Demain, sans doute, il s'adressera aux marchands, après demain, aux médecins, une autre fois aux notaires, et passera en revue toutes les catégories de personnes."

C'est ainsi que Édouard Jacques, président du Conseil général de la Seine, s’attaque au programme électorale de Georges Boulanger, candidat républicain révisionniste qui recrute parmi les antiparlementaires de tous bords. 
Une semaine plus tôt, le 14 janvier 1889, le général Boulanger s’était exprimé dans La Presse sur une attaque à peine voilée de son concurrent :

"J'aurais laissé sans m'émouvoir retourner à l'égout d'où elles sortent les injures et les calomnies des parlementaires exaspérés. Mais voici que leurs fureurs impuissantes s'attaquent maintenant à la Patrie même. Leur candidat a osé placarder dans le département de la Seine cet outrageant appel à la lâcheté : pas de Sedan !"

« Pas de Sedan ! », le slogan est appelé à rester « pour les électeurs une véritable énigme » selon Henri Rochefort, pour qui le rapprochement entre le programme du général Boulanger et la défaite française de 1870 est des moins évidents ; dans L’Intransigeant, fervent soutien de Boulanger dont il est alors le rédacteur en chef, Rochefort insiste :

"Qui diable en France désire un Sedan ? [...] Boulanger doit avoir d’autant moins envie d’un Sedan qu’au combat de Champigny, suite de cette capitulation funeste, il a été grièvement blessé."

La tension est à son comble : les dirigeants politiques prennent la menace au sérieux. Le phénomène culmine le 27 janvier 1889, lors des élections de Paris où Boulanger est candidat. Les passions se déchaînent dans la presse, qui se déchire autour du personnage.  Le jour de l’élection, Rochefort écrit dans L'Intransigeant :

"Si Boulanger est élu — et, entre nous, il nous paraît difficile qu’il ne le soit pas — ce sera à la fois le balayage des disciples de Ferry et celui des amis de M. Clemenceau, qui se sont fait si fraternellement vis-à-vis dans le quadrille électoral. Or, quand on a fait de la situation de député une véritable profession ; qu’on a échafaudé sur ce métier, facile à suivre, même en voyage — puisqu’on a son parcours gratuit — tout un avenir semé de portefeuilles, d’ambassades, de missions ordinaires ou extraordinaires copieusement rétribuées, […] il n’y a pas de vote, quelque significatif qu’il soit, pas de respect de la volonté nationale qui vous fasse volontairement renoncer à la danse de ce panier dans lequel vous avez placé tous vos œufs. Essayez donc de faire comprendre à un amoureux que le suffrage, universel vient de décider qu’il devra se séparer immédiatement de la femme qu’il adore !"

D’autres s’enflamment contre Boulanger, dénonçant un césarisme masqué. Telle La Justice qui écrit le même jour :

"Le mensonge et la canaillerie des affamés de la dictature sont sans limites. À quel procédé honteux recourront-ils au dernier moment, pour voler la crédulité des électeurs ? Nous ne pouvons le dire. Il faut s'attendre à tout de la part des impudents qui ont payé des camelots pour troubler les réunions publiques ; qui ont trafiqué, sous l'étiquette républicaine, avec le rebut de l'empire et de la monarchie ; qui ont insulté tous les républicains ; qui ont répondu par un torrent d'injures aux questions sur lesquelles il leur était interdit de faire la lumière sous peine d'étaler leur déshonneur."

Ou La Lanterne qui le 23 janvier, s'adressant directement aux électeurs de Boulanger, accuse celui-ci de bonapartisme : 

"Alors, c'est donc quelque chose d'extraordinaire que vous attendez de lui ; et, en effet, il vous promet quelque Chose d'extraordinaire, en caractérisant sa politique, comme « un duel entre lui et le Parlement ». Il vous demande l'appui de vos voix pour enfoncer les portes de la Chambre des députés, culbuter le Sénat dans le bassin du Luxembourg, entrer à l'Élysée, jeter à terre, violemment, toutes nos institutions, bonnes ou mauvaises, afin qu'ensuite, debout sur les ruines, il ne reste que lui, le César, le sauveur, l'homme providentiel, le continuateur des Bonapartes !"

Le soir même, Boulanger obtient 244 000 voix contre 160 000 pour Édouard Jacques, son principal adversaire. C’est un raz-de-marée en sa faveur. Place de la Madeleine, devant le restaurant Durand où il fête sa victoire, 50 000 personnes scandent son nom. Certains le pressent de marcher sur l’Élysée tout proche. Mais Boulanger choisit de rester dîner sur place, puis de retrouver plus tard sa maîtresse, Marguerite de Bonnemains… Trop tard pour un coup d’État.

En février, Pierre Tirard, président du Conseil, fait courir le bruit d’une arrestation prochaine de Boulanger. Celui-ci prend peur et s’enfuit à Londres, puis à Bruxelles, où il rejoint sa bien-aimée. Cette dernière meurt de la phtisie en 1891. Boulanger se suicidera sur sa tombe le 30 septembre. 

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