Écho de presse

Alerte aux bibliomanes

le 29/05/2018 par Pierre Ancery
le 31/01/2017 par Pierre Ancery - modifié le 29/05/2018
Le Journal amusant, 23 juin 1894 - Source RetroNews BnF

Au XIXe siècle, un étrange trouble psychologique se répand en Europe : la bibliomanie. Soit la maladie qui consiste à collecter et accumuler des livres de façon irraisonnée et compulsive.

Par le terme de bibliomane, apparu en 1761 sous la plume de Louis Bollioud Mermet, auteur de De la bibliomanie, il faut entendre l'individu qui accumule sans fin des livres dont il n'a aucune utilisation. La bibliomanie, (pseudo) maladie de l'esprit qui semble s'être répandue tout au long du XIXe siècle en Europe, a suscité de nombreux commentaires amusés ou moqueurs dans la presse.

 

En 1868, Le Siècle distingue ainsi le bibliophile (simple amateur de livres) du bibliomane (maniaque compulsif) :

 

"Le bibliomane est un glouton qui, tourmenté d'un appétit vorace, avale tout ce qui se présente sans jamais rien digérer. Sa bibliothèque offre une image du chaos [...]. Il a des livres pour dire qu'il en a ; il se vante de ses Aldes et de ses Elzevirs ; à l'entendre, il possède des incunables et des éditions princeps ; il a rencontré dans les ventes un Horace de 1501, un Virgile de 1505, mais où sont-ils ? il n'en sait plus rien ; il lui suffit de les avoir."

 

Même chose en 1887 dans Le Petit Journal :

 

"Le bibliomane cherche à dissimuler sa manie par crainte des concurrents ; il vit seul, sombre, et passe sa vie à courir les quais, les ventes dont il connaît par cœur les catalogues. Pour tout dire en un mot le bibliophile est un homme passionné ; le bibliomane n'a plus rien d'humain."

 

En 1888, Le Figaro dresse à son tour un portrait peu flatteur de ce dernier :

 

"De son propre aveu, le bibliomane est un être spécial possédant des livres QU'IL NE LIRA JAMAIS. Il a bien autre chose à faire que de lire ses livres. D'abord il passe la plus grande partie de son temps chez les libraires et dans les ventes, car pour se rendre toute lecture véritablement impossible, il lui faut des quantités de livres, brochures, paperasses, à ne savoir où les mettre."

 

En 1896, Les Annales politiques et littéraires se montrent plus indulgentes lorsqu'elles décrivent une vente aux enchères de livres rares à laquelle assistent quelques bibliomanes au stade terminal, prêts à dépenser des fortunes pour une première édition ou un volume en papier vélin :

 

"En dépit de leurs corps affaissés à cause de l'immobilité prolongée, ils planaient. Ils planaient dans les sphères extraterrestres, inconnues des mortels qui ignorent ce qu'un amateur véritable voit, croit voir, ou met dans un livre beau ou seulement rare... […] Regardez-les, ceux-ci. Ils écoutent, ils examinent, ils contemplent... La bibliomanie, puisqu'il faut l'appeler par son nom, est une passion qui répand le bonheur, que le ciel, en sa douceur, inventa pour adoucir les tristesses de la terre..."

 

Et de conclure :

 

"Peut-être le propriétaire d'admirables livres hors de prix est-il condamné à ne jamais lire tout à fait bien. Peut-être ce plaisir divin n'est-il réservé qu'à ceux qui ne disposent que d'éditions banales, qu'aux humbles qui n'ont pas peur, en manipulant le volume, de faire du tort à la reliure vétuste, de provoquer l'effeuillaison désastreuse, de salir les feuillets. Peut-être qu'en matière de lecture aussi, le flacon importe peu, pourvu que l'on ait l'ivresse."

 

 

Notre sélection de livres

L'Art d'aimer les livres et de les connaitre
Jules le Petit
Le Bibliomane
Charles Nodier
Mémoires d'un bibliophile
Jean-Baptiste Tenant de Latour
L'Enfer du bibliophile
Charles Asselineau
Voyages littéraires sur les quais de Paris
Adolphe de Fontaine de Resbecq