Écho de presse

Faut-il créer une "école de la critique" ?

le 29/05/2018 par Pierre Ancery
le 16/02/2017 par Pierre Ancery - modifié le 29/05/2018
Erik Satie ; photographie Delbo ; source Gallica BnF

C'est la question que pose Gil Blas, en 1912, à plusieurs grands artistes de l'époque, parmi lesquels Rodin, Debussy, Ravel ou encore Satie. Certains ont des réponses cinglantes...

En août 1912, le quotidien Gil Blas s'interroge sur le rôle de la critique en ce début de XXe siècle. Faut-il créer une "école de la critique", "dont une section serait à la Sorbonne, l'autre aux Beaux-Arts" ? Plus largement, la critique est-elle utile au public ? Et dans ce cas, qu'est-ce qu'un bon critique ? Pour répondre à ces questions, le journal va à la rencontre de divers grands artistes, écrivains et musiciens de l'époque.

Concernant la création d'une école spécialisée, Auguste Rodin n'est pas tellement enthousiaste :

 

"Les critiques trop jeunes ne sont pas utiles, ils ont des partis pris tenaces. Le critique ne commence à penser personnellement que vers trente ans, jusqu'à cet âge il est vieux, vieux de toute la vieillesse des théories qu'il professe. À trente ans seulement il est vraiment jeune, de ses idées renouvelées."

 

Le compositeur Maurice Ravel, interviewé chez lui, est également dubitatif :

 

"Ce qui distingue une œuvre de maître d'une autre c'est bien moins la méthode de travail (ce qu'en somme vous apprend l'École) que la sensibilité. Eh ! bien, à mon avis, la Sensibilité est innée. Je vous ai répondu !"

 

Son collègue Claude Debussy est du même avis :

 

"Quant à notre « École des Critiques », j'ai bien peur qu'elle ne serve qu'à davantage compliquer le rôle du critique. Il y prendra peut-être plus d'assurance à parler d'art, mais y prendra-t-il cette multiple sensibilité pourtant si nécessaire ?"

 

De son côté, Filippo Tommaso Marinetti, le fondateur du futurisme, est catégorique :

 

"1° La conception d'une école de la Critique est absurde ;

2° Elle n'aurait aucune utilité, ni pour les arts plastiques, ni pour la musique, ni pour la littérature ;

3° Il est malheureusement très facile d'en établir une ;

4° Elle ne pourra rénover absolument rien.

Ce sera l'école des impuissants et des eunuques, les génies créateurs sont les seuls maîtres et les seuls guides dans les successives évolutions et révolutions de l'Art."

 

Quant à l'écrivain Francis Jammes, sa réponse par courrier est aussi brève que cruelle :

 

"Il faudrait pour ranimer la critique une École qui apprît à ses élèves non pas l'Art de comprendre une belle œuvre, mais celui de n'être pas jaloux de cette œuvre. Cordialement."

 

Mais c'est sans doute Erik Satie qui affiche le dédain le plus souverain :

 

"Pour moi, cher ami, je ne crois pas qu'on puisse faire grand'chose d'un « Critique ». [...] Vous voulez les envoyer à l'École ? Ils n'apprendront rien : ils ont l'ignorance dans le sang, dans le ventre, dans les côtes, et dans les os les plus plats — ce qui leur va bien."