Écho de presse

Kessel : une vie d'aventures et de récits

le 29/11/2021 par Marina Bellot
le 29/04/2016 par Marina Bellot - modifié le 29/11/2021
Joseph Kessel, circa 1930, Agence Meurisse - source : Gallica-BnF

Voyageur intrépide et infatigable, Joseph Kessel a toute sa vie puisé dans ses reportages la matière de ses célèbres romans.

Rarement vie d'homme n'aura été aussi remplie. Joseph Kessel, aventurier, journaliste et écrivain, aurait pourtant pu devenir acteur : en 1914, à 19 ans, il fait ses classes journalistiques comme rédacteur au Journal des Débats, puis obtient l'année suivante sa licence de lettres classiques à la Sorbonne. Il entre alors au Conservatoire d’Art Dramatique, se prend de passion pour la scène, et fait quelques apparitions au Théâtre de l’Odéon. Mais la Première Guerre Mondiale le détourne de cette vocation de jeunesse. En 1916, il s’engage dans l’aviation où il exécute de périlleuses missions de combat et de reconnaissance. Le goût du risque et de l'aventure ne le quittera plus. En 1918, il se porte volontaire pour participer à un corps expéditionnaire en Sibérie. Mais avant que le convoi n’arrive à destination, l’armistice est signée. Seul russophone, Joseph Kessel se retrouve nommé, à son arrivée, chef de gare à Vladivostok. Les hommes et les femmes que ce dernier rencontre lui inspirent des nouvelles réunies en 1922 dans un premier recueil intitulé La Steppe rouge.

 

Kessel débute alors une double carrière de journaliste et d’écrivain.

 

En 1923, il publie L’Equipage qui s’inspire de son expérience dans l’aviation militaire. Puis il rejoint l’équipe du Matin et se met à parcourir la planète comme reporter. C’est l’âge d’or du grand reportage et les années fastes de la presse écrite où l’on n’hésite pas à envoyer des journalistes aux quatre coins du monde pour informer tout en dépaysant le lecteur.

 

Les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, Ceylan… Kessel parcourt des milliers de kilomètres à la recherche d'hommes et d'histoires. Il puise dans ces voyages la matière de ses romans. En 1925, paraissent successivement Mary de Cork, Les Rois aveugles et Mémoires d’un commissaire du peuple. En 1926, il obtient le grand prix du roman de l’Académie française avec Les Captifs. Il multiplie alors les romans et nouvelles avec Nuits de princes, Les Cœurs purs, Belle de jour, Le Coup de grâce, Les Enfants de la chance, La passante du Sans-Souci.

 

De son grand reportage Marché d’esclaves publié en 1930 dans Le Matin, où il est parti sur les traces des trafiquants, il tire son roman Fortune carrée.

 

En mars 1932, Kessel couvre l'élection présidentielle en Allemagne. A cette occasion,il réalise un incroyable reportage sur l'Unterwelt, la pègre allemande : "Des bouges de Berlin aux repaires de Hambourg", où il raconte comment il a réussi à s'introduire dans ce fascinant monde souterrain et ce qu'il y a découvert.

 

Sans cesse embarqué dans une nouvelle aventure, Kessel semble mener cent vies en une.

 

Quand son ami l’aviateur Jean Mermoz disparaît en mer en 1936, il est brisé. Il écrit, deux ans plus tard, un portrait poignant pour Paris-Soir, en plusieurs épisodes, avant de publier sa célèbre biographie :

 

"Jean, je tremble en commençant d'écrire. Longtemps, la seule pensée de ce récit me fut intolérable. La douleur la plus nue, la plus stérile, arrêtait chez moi toute démarche en ce sens. Le temps pourtant est venu où j'ai senti que je ne pouvais plus me dérober. J'ai eu la chance magnifique d'être ton ami, tu m'as parlé comme à un frère. Nous devions rédiger ensemble le récit de ta vie. Souvent nous avons rêvé de gagner, loin de tout et de tous, une plage solitaire et là, parmi le soleil, les vagues et les jeux physiques où tu excellais, de reconstruire, étape par étape, ton existence. Mais nos pas se croisaient rarement. Il est difficile d'arracher au vent, à l'orage, au ciel et à l'espace un mois de loisir. Nous remettions notre dessein d'année en année. Nous avions le temps, pensions-nous."

 

Du 2 avril au 6 mai, il livre le récit de la vie de son intrépide ami.

 

Kessel intègre ensuite la grande équipe de Pierre Lazareff à Paris-Soir, où il devient correspondant de guerre en 1939-40.

 

La frontière entre l’écriture journalistique et l’écriture romanesque est, chez lui, plus que ténue. Chaque reportage est un morceau de littérature :

 

"Il pleuvait très fort. La nuit venait sans que le ciel bas, couleur de cendre, changeât de teinte. Simplement une morne lumière s'épuisait au fond des nuages que roulait le vent. Les rivières et les ruisseaux, gonflés, riches d'eau bourbeuse et de limon rougeâtre sortaient de leurs lits, noyaient les prairies, suintaient le long des arbres. La terre de Lorraine avait, en maints endroits, l'aspect d'un pays lacustre. Et, comme l'obscurité s'épaississait autour du faible halo des phares bleus, il me semblait naviguer lentement sur d'étranges canaux balayés par l'averse."​

 

En 1943, il écrit avec son neveu Maurice Druon les paroles du Chant des Partisans, voué à devenir le chant de ralliement de la Résistance puis publie, en hommage à ses combattants, L’Armée des Ombres. Il finit la guerre comme capitaine d’aviation, dans une escadrille qui survole la France de nuit pour donner des consignes à la Résistance.

 

À la Libération, Kessel reprend son activité de grand reporter et voyage dans de nombreux pays africains, en Palestine, en Birmanie, en Afghanistan. C’est ce dernier pays qui lui inspire son chef-d’œuvre romanesque, Les Cavaliers (1967).

 

Il meurt en juillet 1979, laissant derrière lui une oeuvre d’une extraordinaire richesse.

 

L'écrivain François Mauriac lui rendit hommage en ces termes : "Il est de ces êtres à qui tout excès aura été permis, et d’abord dans la témérité du soldat et du résistant, et qui aura gagné l’univers sans avoir perdu son âme."