Écho de presse

La course à la minceur, nouvel impératif féminin après la Grande Guerre

le 04/11/2018 par Pierre Ancery
le 25/09/2017 par Pierre Ancery - modifié le 04/11/2018
Marie-Claire 2 juillet 1937 - Source Gallia BnF

Les années 1920 marquent le début de l'obsession de la minceur. La presse, en particulier féminine, se fait le relais ambigu de cette nouvelle injonction.

C'est le nouveau mot d'ordre des années d'après la Première Guerre mondiale : pour être belle, il faut être mince. Au début des années 1920, l'idée est encore récente et elle n'est pas évidente pour tous les lecteurs, comme en témoignent certains articles de l'époque. Ainsi des Modes de la femme de France qui analysent en 1923 cette « mode » venue des États-Unis :

« Le dernier chic, actuellement, pour une femme élégante, c'est d'être d'une minceur sensationnelle. Il faut essentiellement être grande, élancée — ou, tout au moins, le paraître. […] Comme on peut le supposer, ces recherches esthétiques s'allient à un régime des plus rigoureux. À aucun prix, il ne faut grossir. »

 

En 1924, un journaliste des très sérieuses Annales politiques et littéraires s'effraye de cette nouvelle tendance :

 

« J'ai demandé à une personne qui possède en matière de fashion féminine une compétence indiscutable ce que nous réservait, sous le rapport de la mode, l'année nouvelle [...].

Je ne distingue rien d'extraordinaire ni de sensationnel en fait de nouveautés dans les modes de demain, m'a répondu la voyante... Ce sera bonnet blanc et blanc bonnet, robe collante et collante robe... Le seul renseignement d'ordre général que je peux vous donner, c'est que 1924 sera encore l'année de la femme plate..., plus plate peut-être encore, si c'est possible.

La femme plate ! La femme plus plate ! Où allons-nous ? Vers la femme-fantôme, la femme-ombre, la femme-roseau ! »

 

L'année suivante, la minceur n'est déjà plus une vague mode venue d'outre-Atlantique, mais une « vogue presque excessive », selon cet article du Petit Marseillais :

 

« Que la minceur [...] nous vienne du sport, de l’anémie ou de la danse, peu importe, elle persiste et c’est un fait. Certains ont voulu y voir aussi l’influence des pays anglo-saxons, des modes américaines. Mais nous constatons, en général, des formes beaucoup plus pleines et robustes chez les étrangères que chez les Françaises. Il nous semble donc plutôt que la mode maigre soit nationale, et même très proprement parisienne. »

 

Loin de se limiter à une simple analyse, l'article répond d'ailleurs à l'injonction qu'elle prétend expliquer et conseille les lectrices :

 

« Pour être élégantes, certaines coquettes instituent sur elles-mêmes un traitement brutal et se réjouissent de perdre un kilo par semaine, au moyen de quelque drogue absorbée à dose massive. Elles fondent à vue d'œil en effet, mais leur santé, leur fraîcheur, la finesse de leur teint s’en vont aussi. L’embonpoint ôté trop vite revient d'ailleurs au bout de quelques mois : la santé souvent est compromise, et les rides restent sur le visage. Le secret de devenir mince (ou de le rester) n'est donc pas dans l'amaigrissement. Il réside tout entier dans l'hygiène, et le sport : il s’agit, en effet, non pas de réduire son volume, au hasard, mais de substituer le muscle à la graisse. »

 

En 1926, la vogue est devenue obsession. Et elle est déjà cause de souffrances et la névrose collective n'est pas loin, comme on le devine en lisant cet article de L'Intransigeant consacré au sujet :

 

« Mince ! il faut être mince. Plus de courbes gracieuses, émouvantes et mouvantes. C’est contraire au goût du jour dont la ligne est inexorablement celle d’un roseau. […] Maigrir ! problème qui intéresse, inquiète, passionne, des milliers de femmes atterrées de voir, à chaque pesée nouvelle, monter un peu plus leur poids. »

 

Le journal féminin La Femme de France, en 1927, analyse bien la question, qu'il explique par une compétition de plus en plus féroce (et apparemment sans fin) avec les femmes plus jeunes :

 

« La grande préoccupation des “plus de Trente Ans” est naturellement de ne pas accuser l'âge qu'il leur arrive d'avoir. […] Aujourd'hui, c'est devenu une habitude morale, et en quelque sorte une politesse envers autrui, de reculer le plus loin possible la limite de l'abdication. La femme moderne est particulièrement bien armée dans cette lutte sournoise et incessante, de par sa connaissance plus éclairée des lois de l'hygiène, et son accoutumance aux exercices physiques, facteurs précieux pour combattre le plus menaçant des fléaux : l'obésité. Ce mot, pénible en soi, évoque des rotondités de montgolfière qui n'atteignent que rarement les femmes raffinées. »

 

Et d'insister sur la dimension oppressante, pour les élégantes, de cette course implacable au corps parfait :

 

« Mais il n'est pas besoin d'un tel excès d'infortune pour les émouvoir. Le moindre empâtement, le plus léger fléchissement des chairs leur est sujet d'alarme. Elles savent bien que la minceur de la silhouette, l'absence d'appas trop dessinés, cette gracilité impubère pourrait-on dire, comptent pour les coefficients les plus élevés de cette jeunesse tant convoitée. »

 

Une lucidité qui n'empêche pas le même journal de prodiguer une foule de conseils pour rester mince à ses lectrices inquiètes... Ainsi lit-on cet échange dans le courrier des lectrices du 18 septembre :

 

« — J'ai un conseil à vous demander, qui voudra bien répondre à une nouvelle Abeille ? Je désire connaître un moyen pour rester mince (si possible régime facile à suivre ou régime médicamenteux). Très svelte pendant le printemps et l'été, je grossis de quelques kilos pendant l'automne et l'hiver, peut-être est-ce le raisin qui fait grossir ? Que dois-je faire pour garder la minceur voulue, maintenant que je le puis étant très mince ? Elle vous remercie d'avance la

BLONDE À CHEVEUX LONGS.

Mireille. Employez ma lotion anglaise dont voici la formule, plusieurs Abeilles me l'ayant demandée : Eau distillée, 500 gr. ; glycérine neutre, 30 gr. ; acide borique pulvérisé, 20 gr. ; essence pure de lavande, 10 gouttes. Mettre à fondre l'acide borique dans l'eau de rose et laisser dans un endroit tiède, en agitant souvent ; lorsqu'il n'y a plus de petits flocons, ajouter les autres ingrédients. »

 

Le journal, dans les années suivantes, se fera d'ailleurs un grand promoteur de divers régimes amincissants. Quelque 90 ans plus tard, la « mode » du ventre plat et de la taille fine, elle, est loin d'être passée...