Écho de presse

Paul Morand, chroniqueur virtuose au Figaro

le 04/06/2018 par Pierre Ancery
le 24/06/2016 par Pierre Ancery - modifié le 04/06/2018

À partir du milieu des années 30, l'écrivain Paul Morand a publié d'innombrables chroniques dans les pages du Figaro. Avant de basculer dans la collaboration pendant la guerre.

Collaborateur, antisémite, raciste, réactionnaire, élitiste : Paul Morand (1888-1976) fait partie, avec quelques autres, de ces écrivains du XXe siècle au talent avéré mais aux positions politiques indéfendables. Pourtant, à l'époque où il commence à écrire pour Le Figaro au milieu des années 30, c'est un membre du Tout-Paris respecté de tous.

 

Alors qu'il n'a pas quarante ans et qu'il mène en parallèle une carrière diplomatique, il est déjà l'auteur de nombreux romans (Lewis et Irène), recueils de nouvelles (Ouvert la nuit, Magie noire...) et récits de voyage (New-York, Air indien...) qui ont frappé le public par l'élégance et la rapidité de leur style. Honneur suprême pour un aspirant écrivain, Proust a même préfacé son premier recueil, Tendres Stocks, paru en 1921. Plus tard, Céline, pourtant avare en compliments, dira de lui qu'il a été « un des premiers à faire jazzer la langue ».

 

Au Figaro, Paul Morand va écrire sur tous les sujets. Le 26 juillet 1934, il chante par exemple les délices de la forêt en été. Ou bien, le 16 juillet 1935, les falaises de Normandie et, le 26 octobre de la même année, les trésors de l'art chinois présentés dans une exposition londonienne.

 

Ses contributions au célèbre quotidien, d'abord épisodiques, deviennent plus régulières à partir de 1936. Le 11 juillet, il s'intéresse au genre de la nouvelle tel qu'il est pratiqué en Angleterre, et le 19 octobre, il évoque l'Espagne, qu'il adore et où il plantera l'action de son roman Le Flagellant de Séville : « L'Espagne est moins un pays de lumière qu'un pays de nuit ; comme un fauve, elle dort le jour et s'éveille avec le crépuscule ».

 

Dans sa chronique du 22 décembre, il s'afflige de la fin de « l'incognito » :

 

"Aujourd'hui l'incognito est mort, tué par les photographes de presse ; avec eux, comme avec les mitrailleurs, personne ne passe plus ; les héroïsmes, comme les vices, deviennent propriété internationale, et l'être visé, vidé de son secret, dépossédé de son mystère, avoue à des millions d'exemplaires, par tous ses traits, par toute sa personne, par sa pauvre figure qu'il cache en vain de la main. Les objectifs des cameramen américains sont des yeux sans paupières, mais aussi des yeux sans âme, sans discernement et sans pitié. Au moment où Hollywood affirme la prépotence de l'amour, il rend impossible cet arcane suprême. La photographie est pire que l'éloquence ; elle proclame que rien n'est impénétrable, que rien n'est inavouable et que rien n'est voilé. L'homme de demain aura-t-il droit à tout, sauf à l'ombre ?"

 

Dans les années suivantes, toujours avec la même aisance, il fait un portrait de Londres balayé par le vent, se rappelle avec nostalgie de l'époque où « le monde ne connaissait pas ces universelles épidémies d'infortune qui sont notre apanage », réfléchit sur le destin de la Méditerranée, parle des fonctionnaires diplomatiques, rend hommage à Proust, dont il cite avec gourmandise plusieurs extraits de lettres à lui adressées, et discute des théories économiques de Keynes.

 

En 1940, il est mis à la retraite d'office, mais continue d'écrire dans Le Figaro. Quand il aborde la politique, c'est en termes souvent vagues, comme dans cet article sur l' « exil volontaire », daté du 19 octobre 1940 :

 

"La patrie est quelque chose qui doit se vivre et se voir. Mieux qu'un climat spirituel, c'est une chaleur. Et la plus douce chaleur est celle du péril en commun. Notre avenir est en notre pays natal, comme nos origines."

 

Il est parfois plus explicite, comme dans sa chronique du 27 décembre 1940 où il évoque les « vérités vierges et fortes que nous apportent le message du Maréchal ». Vichyssois convaincu, Paul Morand est nommé dès 1942 ambassadeur de France en Roumanie. En 1944, il s'exile prudemment en Suisse. À la Libération, il sera révoqué par le général de Gaulle. Ce dernier empêchera son accession à l'Académie française jusqu'en 1968. Il publiera encore quelques livres au style éblouissant (Hécate et ses chiens en 1954, Venises en 1971) et s'éteindra en 1976. Sans jamais avoir rien renié de ses engagements passés.