Écho de presse

Paul Morand en Afrique de l'Ouest

le 29/05/2018 par Pierre Ancery
le 24/07/2017 par Pierre Ancery - modifié le 29/05/2018
Les Annales politiques et littéraires ; 28 octobre 1928 - source RetroNews BnF

L'écrivain Paul Morand publia en 1928, dans "Les Annales politiques et littéraires", le récit d'un voyage qui le mena de la côté sénégalaise à Tombouctou.

Le 1er septembre 1928, Les Annales politiques et littéraires publient la première partie, richement illustrée, d'un récit de voyages intitulé De Paris à Tombouctou et signé de l'écrivain Paul Morand. Auteur de nombreux romans au style virtuose, diplomate de carrière, ce dernier est aussi un voyageur qui racontera ses pérégrinations dans New York, Venises ou encore Air indien. Personnalité controversée de son temps, il sera accusé de collaborationisme à la fin de la guerre.

La description de son périple en Afrique est loin d'échapper aux préjugés racistes et à l'idéologie colonialiste propres à l'époque, mais aussi à Morand lui-même, ce dernier écrivant par exemple :

"Les Noirs, disent les ethnographes modernes, ne sont sans doute pas originaires d'Afrique, mais d'Océanie. Dès lors, en vertu de quel principe interdire aux Blancs de s'installer dans cette Afrique dont, si l'on se réclame de précédents historiques, seuls quelques Pygmées auraient le droit de se dire propriétaires ?"

Ou ailleurs :

"Les foules nègres sont beaucoup plus naturelles et spontanées que la populace d'Asie. Ni hostilité, ni servilité, ni mendicité. Beaucoup de dignité, malgré une curiosité vive. Le moindre de nos gestes les intéresse. Toute grossièreté, tout manque de tenue vous déconsidère sur l'heure."

En dépit de son racisme quasi-obsessionnel, le récit de Morand vaut pour son évocation érudite et souvent poétique des villes et des paysages d'Afrique de l'Ouest. C'est aussi un témoignage sur le vif de la vie en A.O.F (Afrique-Occidentale française), cette fédération coloniale regroupant jusqu'en 1958 huit colonies françaises (Mauritanie, Sénégal, Soudan français, Guinée, Côte d'Ivoire, Niger, Haute-Volta, Togo et Dahomey).

"Persuadé que le tourisme va, d'ici peu d'années, se développer en A. O. F.", Morand se propose d'écrire pour "des gens qui ne sont ni commerçants, ni fonctionnaires, ni colporteurs, ni chasseurs d'ivoire, ni soldats..., rien que des amateurs de beaux voyages."

Parti de Marseille en bateau, il débarque à Dakar, où il croise Albert Londres, "ce grand coureur de globe (qui ressemble si étonnamment à Shakespeare)". Puis il s'arrête à Konakry, en Guinée :

"Chaleur humide, ciel gris, soleil sans rayons, réverbération terrible, sol ocre ; rochers comme du mâchefer ; cocotiers, fromagers dépouillés et membraneux. Renards volants. J'ai ramassé un galet de ce rivage ; il est pareil à une pierre tombée du ciel."

Les descriptions s'enchaînent à mesure que Morand pénètre dans le continent.

"Nuit au Fouta-Djalon. — Des étoiles nouvelles. Nuit fraîche, air humide et froid. Nous sommes à plus de mille mètres. De la brise. Nos phares fouillent les fourrés, suaires triangulaires. Des yeux nous guettent, verts ou rouges, yeux de renards, de rats palmistes, de chacals, de chats-tigres ou de panthères. Scintillements verdâtres. Tout s'embusque, rampe ; au delà des faisceaux lumineux, la forêt est comme une pince d'ombre qui se referme. Soudain, panne d'électricité. Nous voici immobilisés en pleine nuit."

Plus loin :

"Village guinéen à la tombée du jour. Grandeur, majesté antique de l'Afrique. Pas de mendiants, aucun commerce. Au centre, un fromager géant unit le ciel et la terre. Un autre abattu, couché, est grand comme dix éléphants. Les cases, séparées par des nattes de deux mètres de haut, dessinent des rues pleines de chicanes et de tortis. Feux bleus. Huttes pareilles à des réservoirs de ciment, coiffées de paille. Les vieux, les jeunes filles, chœurs eschyliens."

Puis c'est Tombouctou (actuel Mali), qui frappe Morand par son austérité :

"Tombouctou a maigri et flotte dans le manteau de ses murailles qui, jadis, allaient jusqu'au Niger. Mieux que dans les tranchées des rues, je vois d'ici les mosquées, Djamé Sankosé, Sidi Yaya, Djidjiriber... Aussitôt que le soleil sera un peu plus haut, la ville va perdre sa couleur, contrairement à ce que l'on voit en Europe. Pour le moment, cette affreuse boue grillée est d'un rose précieux. Tombouctou est pétrie de la matière même du désert. Voici la diane qui sonne le réveil non seulement des casernes, mais de la ville, car celle-ci a gardé son aspect de place militaire ; tout y est provisoire et primitif. Pas de commerce européen, pas d'égouts, ni de bains, ni de terrains de sport, ni d'hôtel. Qui dirait que les Malinkés ont régné ici au XIVe, les Touareg au XVe, les Songhaï au XVIe, les Marocains aux XVIIe et XVIIIe, les Peulhs et les Toucouleurs au XIXe? Qu'en reste-t-il ? Du sable, couleur de la poussière de l'Ecriture."

 

"D'ouest en est, de la Guinée au Somaliland, en passant par le Soudan, l'Afrique est du même rouge, — d'un rouge dont les rochers d'Agay donnent seuls une idée", écrit-il dans la dernière partie du texte, publiée le 15 octobre. Le récit de Morand sera publié en 1932 chez Flammarion, sous le titre A.O.F. De Paris à Tombouctou