Écho de presse

Titayna, le tourbillon des années 30

le 04/06/2018 par Marina Bellot
le 27/05/2016 par Marina Bellot - modifié le 04/06/2018
" Notre collaboratrice, la grande voyageuse Titayna..." ; L'intransigeant, 13 novembre 1934

Vous n’avez sans doute jamais entendu parler d’elle, et pourtant... Romancière à succès, reporter tous terrains, pionnière de l’aviation : Titayna reste une figure résolument moderne et fascinante.

Titayna, de son vrai nom aux accents moins exotiques Elisabeth Sauvy, est la soeur d'Alfred, le démographe. Journaliste, écrivaine, coqueluche du Paris d'avant guerre, féministe avant l'heure, sa vie est un véritable tourbillon.

Dès 1926, alors qu'elle n'a que 29 ans, Le Rappel fait d'elle un portrait admiratif, et publie des extraits de son second roman, La Bête cabrée, qu'elle vient alors de publier et dont la narratrice lui ressemble :

"Trop jeune, j'ai vu. Trop jeune, j'ai su. Trop jeune aussi, j'ai connu cette intensité de Foi, de Rêve, d'Illusion. Oui, j'ai été cette enfant dont les grands yeux semblent tout demander, parce qu'ils sont prêts à tout donner. J'ai eu mal. Je ne sais plus exactement. Je ne veux plus savoir. Ma souffrance trop forte s'est anesthésiée elle-même, et tout a été fini. J'ai fui alors l'affection, l'amitié, je dirai le mot : l'Amour."

Résolument moderne, farouchement attachée à sa liberté, prête à tous les excès, elle est surnommée par les Américains 'l'Amie du Danger". De 1925 à 1939, elle parcourt les quatre continents, préférant l'avion au train contrairement à la plupart de ses confrères.

Elle multiplie les enquêtes et les reportages, mais aussi les interviews des plus puissants : Mustafa Kemal, Mussolini, et Hitler en 1936 pour Paris-Soir, dont elle est la reporter star. Sa popularité est immense, comme le montrent le nombre d'articles qui la concernent sur RetroNews.

En 1936, elle sillonne notamment la Chine, alors en proie à d'extrêmes tensions :

"Pour comprendre la Chine, il faut d'abord savoir, qu'il y a quatre Chines et qu'elles se font la guerre. C'est ce que m'apprit Alex, la belle fumeuse, quand j'eus relié Paris à Canton en cinq jours au-dessus de l'Europe tourmentée."

L'"aventureuse", comme elle aime se définir, pratique aussi un journalisme d’empathie. En 1936, elle se lance dans une grande enquête sur les discriminations que subissent les femmes à la recherche d'un emploi :

"Paris-Soir a chargé Titayna, dont nos lecteurs connaissent le grand talent vivant et humain, de suivre elle aussi le chemin qui va de bureau en bureau, d'officine en officine à la recherche éperdue des quelques heures de travail qui pourraient parfois sauver un foyer. Titayna ne s'est pas contentée de mener son enquête à Paris, mais soucieuse de connaître toutes les épreuves qu'une Française peut endurer dans la recherche du gagne-pain, elle est allée jusqu'à Londres et New-York pousser ses investigations."

En 1937, Paris-Soir la charge d'enquêter sur le problème de la surproduction :

"Titayna, dont ce n'est pas le premier exploit, a parcouru en quelques semaines 40.000 kilomètres (plus que le tour du monde!) du nord au sud des deux Amériques. L'avion fut presque toujours son seul mode de transport. Partie de New-York en hiver, elle a traversé successivement le printemps mexicain, les rigueurs équatoriales et l'été brésilien. Dans chaque capitale, elle a pris contact avec ceux qui s'occupent des questions économiques, des problèmes du commerce extérieur."

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, Titayna est au sommet. Ses amis s'appellent Cocteau, Giono ou Mac Orlan. Elle est riche et célèbre.

La guerre mettra un coup d'arrêt à ce tourbillon qu'aura été sa vie. Mauvaises relations et mauvais choix, elle est emprisonnée un an à la Libération, puis assignée à résidence. L'insaisissable s'enfuit aux États-Unis où elle mourra, oubliée de tous, en 1966.