Écho de presse

"Vive l'ingénieur Eiffel, vive la France !"

le 02/12/2019 par Marina Bellot
le 14/09/2016 par Marina Bellot - modifié le 02/12/2019
préparatifs de l'exposition de 1889 : la Tour Eiffel en construction ; Agence Meurisse - Source BnF

L'inauguration de la tour Eiffel en 1889 est loin d'avoir attiré une foule d'"ascensionnistes"...

31 mars 1889 : la fin du chantier titanesque de la "Tour de 300 mètres", qui a mobilisé pendant deux ans deux cents hommes, est fêtée par Eiffel entouré de ses ouvriers, et salué - comme c'est la coutume à l'époque - par l'érection du drapeau français. Eiffel, "un peu souffrant", prend la parole dans un discours empreint de solennité, comme le rapporte Le Temps du 2 avril 1889 :

"Il s’adresse aux ouvriers, qui se groupent autour de lui :
Je viens d’éprouver, mes chers amis, leur dit-il, une grande satisfaction, celle d’avoir fait flotter notre drapeau national sur le plus haut édifice que l’homme ait jamais construit. Nous voici au bout de notre tâche
 ; mais, pour l’atteindre, que d'efforts ont été faits par nous tous, soit comme intelligence, soit comme travail ! Que de constance il nous a fallu, à moi et à mes collaborateurs immédiats, pour préparer et coordonner le travail, à vous pour l'exécuter au milieu des intempéries, par le froid et le vent que vous avez si souvent bravés sur le haut sommet ! Mais nous sentions qu’engagés dans cette voie il n’y avait pas à reculer et qu’ayant promis de réaliser une œuvre souvent tentée ou rêvée, mais jamais encore exécutée par aucun peuple, nous devions tenir notre parole, sous peine de compromettre une partie de l’honneur national."

 Vient ensuite le discours d'un ouvrier, qui lit "d'une voix émue les lignes qui suivent" :

"Monsieur Eiffel,
Je viens au nom de mes camarades et amis, les ouvriers de la tour de trois cents mètres, vous exprimer toutes nos sympathies et Ie respect que nous vous devons d'avoir su mener à bonne fin cette grande œuvre. Depuis deux ans, votre nom a retenti dans l'univers entier. L'heure a sonné où l'on pourra venir contempler votre idée grandiose et admirer ce chef d'œuvre. (...) Puissions-nous redire aux enfants de nos petits-enfants que nous avons travaillé au monument le plus imposant du monde.
Vive l'ingénieur Eiffel, vive la France, vive la République
 !"

La tour est ouverte au public quelques semaines plus tard, en mai 1889. Une inauguration qui donne lieu à un reportage épique de La Lanterne :

“Il convient de dire que l'ascension n'a pu se faire au moyen des ascenseurs, comme on l'avait pensé tout d'abord. C'est donc à pied, par ces innombrables escaliers de fer, qui font songer au travail de quelque Briarée en proie à on ne sait quel colossal rêve métallurgique, qu'il a fallu atteindre la première plateforme tant souhaitée, en attendant de gagner la deuxième.
Il fait un horrible temps quand nous nous mettons en route. De gros nuages noirs roulent l'un derrière l'autre, et nous annoncent une pluie qui sera l'objet de bien des malédictions. Aussi les Parisiens qui se dirigent résolument vers la tour ou plutôt vers l'Exposition sont-ils rares. (...) Peu de sergents de ville
 : il n'en faut pas beaucoup, car c'est à peine si cent cinquante personnes attendent l'ouverture des guichets. Ici se produit tout à coup un spectacle des plus pittoresques. Les gens de service commencent à gravir les premiers échelons. Nous voyons un interminable défilé de paniers à bouteilles, de mannes chargées de pain, de viande, d'assiettes, etc. De graves maîtres d'hôtel à longs favoris et des garçons en tablier blanc accompagnent ces chargements de victuailles, de l'air le plus glorieux du monde.
Onze heures vingt-cinq. La presse parisienne est admise aux honneurs de l'ascension, nous sommes là sept ou huit journalistes
 ; derrière nous se hâte, maudissant toujours la pluie, le groupe des ascensionnistes payants. En cinq minutes, nous atteignons la première plate-forme. Paris nous apparaît à vol d'oiseau, nous fournissant un panorama qui ne lassera jamais les yeux.
(...) Un peu après, se présente le premier ascensionniste payant. Saluons-le
 ! Cet homme est désormais célèbre."

Notons que malgré sa prouesse, l'ascensionniste en question, un certain M. Guillermo de Carlos, jeune étudiant espagnol, n'est pas entré dans l'histoire.