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La carte scolaire de la France de 1826

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

En 1826, le baron Charles Dupin, économiste et professeur au Conservatoire national des arts et métiers fait réaliser une « carte figurative de l’instruction populaire de la France ». Cette tentative de cartographie de la scolarisation des garçons met en évidence les disparités entre les départements et les régions françaises.

Une scolarisation inégalement répartie sur le territoire

En ouverture de son cours de géométrie et de mécanique appliquées aux Arts et métiers et aux beaux-arts du 29 novembre 1826, Charles Dupin présente à son audience la Carte figurative de l'instruction populaire de la France.

Le Constitutionnel résume ainsi les propos du baron Dupin : « Il présente ensuite les avantages précieux que la société tout entière peut retirer de l’instruction de simples ouvriers et de la masse du peuple » puis il commente et détaille la carte : « il met sous les yeux de ses auditeurs une carte de France ombrée avec des teintes qui représentent les degrés d’ignorance ou d’instruction de nos divers départements ; il fait remarquer une bande noirâtre qui depuis Saint-Malo jusqu’à Genève, sépare la France éclairée de la France obscure ».

Carte figurative de l'instruction populaire de la France, J. Collon, 1826 - source : Gallica-BnF

Charles Dupin poursuit son analyse : au Nord, 32 départements scolarisent 748 146 garçons alors qu’au Sud 54 départements envoient à l’école 375 931 enfants.

La réception de son annonce n'est pourtant pas unanime et des critiques diverses émergent. Alors que Le Drapeau blanc questionne la véracité géographique des propos énoncés et leur pertinence, Le Journal des débats politiques et littéraires s'efforce de le mettre en garde contre de possibles réprimandes.

L’État et les progrès de la scolarisation des garçons

Pour la réalisation de sa carte, Charles Dupin utilise comme indicateur statistique le nombre d'habitants correspondant à un garçon scolarisé - la scolarisation féminine est encore très massivement délaissée. La carte montre que les départements du Nord et de l'Est du territoire affichent un taux de scolarisation plus important que ceux du Centre, de l'Ouest et du sud. Au nord d'une ligne allant de Saint-Malo à Genève, la scolarisation des garçons est plus élevée ( un élève pour moins de 20 habitants) qu'au sud (un élève pour 50 habitants).

La France la plus scolarisée et la plus alphabétisée est celle des villes des riches régions rurales. C’est également celle des populations denses des zones urbaines et des régions les moins enclavées.

Cette carte sera utilisée par les différents gouvernements successifs. Dès 1828 l'on porte un toast au Baron Dupin à à l'accroissement de l'instruction populaire dans La Gazette ou le Moniteur universel de 1828. Dans la première moitié du XIXe siècle, l’Etat développe une politique d’uniformisation de l’offre éducative et de réduction des disparités entre les régions. La scolarisation des enfants devient de plus en plus importante. Entre 1832 et 1850, le nombre de garçons scolarisés passe de 1,2 million à 1,8 million - des chiffres portés à la hausse grâce à l'instauration des lois Guizot en 1833 et Falloux en 1850.

Charles Dupin (1784-1873)

Polytechnicien de formation, Charles Dupin s'illustre dans de multiples spécialités : l’ingénierie maritime, la géométrie, l’économie sans oublier la question sociale. Il est à cet égard considéré comme le fondateur de la statistique française. Après un bref passage en Angleterre, il publie de nombreux travaux d’économie et prend délibérément position pour l’accroissement de l’instruction populaire en France. Membre de l’Académie des Sciences en 1818, baron en 1824, il devient député en 1827 et étend ses ambitions politiques : il se voit confier le Ministère de la Marine et des colonies en 1834 et est nommé sénateur par Napoléon III en 1852. Il se retire de la vie politique en 1870.

Photographie du Baron Charles Dupin par Pierre Petit, 1874 - source : Gallica-BnF

Une population éduquée nécessaire à la prospérité de l'économie

Charles Dupin dispose de solides connaissances en matière d'économie et d'ingénierie. Sa présentation doit alors se comprendre dans une logique de développement économique et ne pas être isolée seulement sur le plan éducatif. L'instruction populaire est avant tout nécessaire et indispensable au développement des industries. Un an après, il démontrait encore les liens étroits entre une population éduquée et la productivité des ouvriers des soieries françaises.

Alors que sa carte figure dans son ouvrage Forces commerciales et productives de la FranceLe Journal des débats politiques et littéraires - pourtant réservé l'année précédente - formule de vives critiques envers les commentaires de Dupin sur la relation entre l'instruction populaire et la civilisation des peuples, une critique à laquelle le baron Dupin répondra 3 jours plus tard dans les colonnes du même journal : 

«Un de vos honorables collaborateurs a rendu compte avec une bienveillance dont je suis extrêment flatté, de mon ouvrage sur les Forces productives et commerciales de la France. Il a cru cependant devoir présenter plusieurs objections contre les rapports que je me suis efforcé d'établir entre l'instruction populaire et la civilisation des peuples. Il sagit d'une des questions les plus importantes pour le sort des nations modernes. »

Dupin insiste avant tout sur la nécessité d'une instruction basée sur la morale, visant au développement d'un esprit critique et d'une reflexion aboutis chez l'enfant. Autant de qualités indispensables et nécessaires pour la prospérité economique de la France. 

Forces productives et commerciales de la France par le Baron Charles Dupin ; 1827-1832 - source : Gallica-BnF

Antoine Prost, historien sur l'école du début du siècle 

Antoine Prost, historien rappelle ce qu'était l'école républicaine au début du siècle dans le cadre d'une société de pénurie, une institution qui doit gérer 250 000 instituteurs au 20ème siècle depuis les lois FERRY de 1882 et qu'on a confié préalablement à l'Eglise sous la Restauration au 19ème siècle.

Bibliographie

 

Françoise Mayeur, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, 1789-1930, Paris, Perrin, 2004, tome 3.


Pierre Albertini, L’école en France, XIXe-XXe siècle, de la maternelle à l’université, Paris, Hachette, 1992.


Carole Christen, François Vatin, Charles Dupin (1784-1873), Ingénieur, savant, économiste, pédagogue et parlementaire du Premier au Second Empire, Presses de Rennes, 2009.