Long Format

La mission Voulet-Chanoine en 1899

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

À l’automne 1898 deux officiers français, les capitaines Voulet et Chanoine, embarquent pour une mission en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale, accompagnés d’autres officiers et de soldats français ainsi que d’Africains, de porteurs et d'auxiliaires. Cette expédition, parfois appelée « la colonne infernale », se signale par des actes d’une telle barbarie que l’opinion publique en métropole finit par s’en émouvoir…

« De vaillants explorateurs »?

Officiellement ils étaient chargés depuis l’est du Sénégal d’explorer la région frontalière entre les territoires français et britanniques du Niger et du Nigéria pour retrouver au lac Tchad deux autres missions françaises, l’une partie de l’Algérie, la mission Foureau-Lamy et l’autre, dirigée par l’explorateur Émile Gentil, partie du Congo. L’objectif, non avoué, était également de conquérir de nouveaux territoires afin de relier les possessions françaises de l’ouest au littoral oriental. Ces deux hommes avaient déjà réalisé en 1896 une mission d’exploration pour la France dans le but de conquérir le royaume mossi, dans l’actuel Burkina Faso. Le Petit Journal du 20 novembre 1897 les présente d’ailleurs comme de « vaillants explorateurs » qui, dans un contexte de rivalités coloniales, réduisirent à néant « les espérances et les compétitions de l’Angleterre et de l’Allemagne ».

Émile Gentil ; photographie ; XIXe s. - source : Gallica-BnF

Une colonne infernale

Le colonel Charles Sulpice Jules Chanoine ; J. Dubois ; photographie ; 1883 - source : Gallica-BnF

Mais très vite les rapports se multiplient sur les exactions, massacres et pillages qu’ils commettent au fur et à mesure de leur avancée. L’Aurore du 1er juillet 1899 consacre un article à ce sujet en première page, il est intitulé : « Ils colonisent ». Il rappelle opportunément que Julien Chanoine est le fils du général Jules Chanoine, ancien ministre de la Guerre. Il souligne la rapide promotion de Julien Chanoine qui avait reçu la Légion d’honneur « en récompense des  glorieux exploits qu’il venait d’accomplir ». Et de les confronter à la réalité : « des massacres de nègres, d’abominables cruautés, des crimes si monstrueux que les militaires eux-mêmes, qui sont pourtant habitués à en voir de rudes en l’espèce, se sont indignés »L’Aurore reprend également les informations du Temps concernant l’envoi du lieutenant-colonel Jean-François Arsène Klobb à leurs trousses afin d’arrêter les deux criminels. Le journaliste conclut de manière acerbe en souhaitant bon courage au ministre des Colonies s’il entend « changer les méthodes de colonisation » étant donné  les « habitudes sacrées » et les « inviolables traditions » de l’armée…D’ailleurs, Jean-François Arsène Klobb finit assassiné par Paul Voulet le 14 juillet 1899. Quelques jours plus tard, les troupes se révoltent contre Voulet et Chanoine, et les tuent. La mission reprend, cette fois sous les ordres de Joalland et Meynier. Mais le scandale gagne Paris et l’affaire prend encore de l’ampleur dans la presse.

La France s’émeut

L’Ouest-Éclair du 27 août 1899 reprend le communiqué officiel du Conseil des ministres qui déclare la mission Voulet-Chanoine en « état de rébellion ». Mais tous, notamment les familles, ne sont pas convaincus de la culpabilité des officiers Voulet et Chanoine.

Le journaliste du Gaulois, qui s’est rendu dans la famille Voulet,  reproduit  le 26 août 1899 deux lettres qui lui ont été confiées par la famille. Dans la lettre datée du 2 février 1899, la dernière parvenue aux parents, Voulet estime que la situation est bonne et dresse la comptabilité des moyens : « 13 chameaux portant 130 kilos, 75 bœufs portant 60 à 120 kilos, 70 ânes portant 60 kilos ». Il considère que « la marche en avant se continue de façon normale » sans mentionner à quel prix….Il passe ainsi sous silence les exactions commises.

Un journaliste du Matin est envoyé à Baudemont dans la Marne pour rencontrer le général Jules Chanoine, mais en l’absence du père, il décide d’interroger le frère. Il en reprend les propos dans les colonnes du 24 août 1899. La famille Chanoine exprime ainsi ses doutes sur l’implication dans l’assassinat de Klobb et Meynier en attribuant l’information à un « sergent indigène »« témoignage vraiment trop suspect ».

Dans la presse et dans l’opinion publique, leur culpabilité n’est pas véritablement remise en question mais, pour autant, il n’est pas question de critiquer la politique coloniale de l’État français. Ainsi Le Gaulois du 21 août 1899, dans une rubrique créée pour l’occasion et intitulée « Drame au Soudan », estime qu’« on ne peut expliquer ce drame que par le soleil et les fièvres des tropiques, qui sont terribles pour les cerveaux européens », une maladie fort commode…

Bibliographie

 

Muriel Mathieu, La Mission Afrique Centrale, Paris, L'Harmattan, coll. « Racines du présent », 1996.


Ibrahim Yahaya, L'Expédition coloniale Voulet-Chanoine dans les livres et à l'écran, Paris, L'Harmattan, coll. « Images plurielles », 2012.