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1904 : Lancement de l'Humanité

le par - modifié le 05/08/2020
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Créé en 1904 par Jean Jaurès, l'Humanité a connu une histoire mouvementée : l’assassinat de Jaurès en 1914, la Première Guerre mondiale et le congrès de Tours en 1920 l'amènent au communisme. Dans les années 1930, il bénéficie d'un lectorat nombreux. Véritable succès, il est alors à la fois populaire et ouvrier, ce qu'il n'était pas tout à fait au moment de sa fondation...

Jaurès, journaliste bien avant l’Humanité

À partir de 1887, Jaurès écrit plus de 1300 articles pour le quotidien régional La Dépêche de Toulouse, un journal radical. Il collabore dès 1893 à La Petite République. Ce quotidien populaire républicain, fondé en 1876, connaît un tournant en 1893 avec une nouvelle direction assurée par Alexandre Millerand, avocat et député de Paris, issu du radicalisme.

À partir de 1897, le journal est dirigé par Gérault-Richard. Ce dernier fait appel en 1898 à Jean Jaurès, qui venait de perdre les élections législatives, pour la co-direction du journal. Jaurès s’y signale alors par un certain nombre d’articles en août 1898 qui prennent la défense de Dreyfus, à l’instar de Zola dans L’Aurore. Ces articles seront aussitôt rassemblés dans un recueil appelé Les Preuves.

Cependant Jaurès souhaitait créer son propre titre, sa participation à La Petite République ne lui suffisant plus. Le journal de droite Le Gaulois du 20 avril 1904 déclare d’ailleurs que « Jaurès était las d’écrire chez les autres », c’est pourquoi « il a créé un journal qui ne doit refléter que sa propre pensée ». Pour ce faire, Jaurès rassemble une équipe et des fonds.

Jean Jaurès (à gauche) arrivant au Palais Bourbon, Agence Rol, 1914 - source : Gallica-BnF

Les objectifs de Jaurès

Lors de la parution du premier numéro de L’Humanité le 18 avril 1904, Jaurès explique à la une les objectifs de ce nouveau journal qui doit être « en communication constante avec tout le mouvement ouvrier, syndical et coopératif ».

Le journal se veut l’expression du socialisme, ce qu’il deviendra avec la naissance de la SFIO en 1905 et même si d’autres titres, plus ou moins en concurrence, continuent de relayer les idées socialistes et d’être lus par les gens de gauche. Jaurès s’engage aussi sur « la loyauté » des comptes rendus, « la sûreté des renseignements » dans un « souci constant et scrupuleux de la vérité ».

Enfin il défend « l’entière indépendance du journal » et assure que « les capitaux, dès maintenant souscrits, sont suffisants pour permettre d’attendre le développement espéré du journal. Et ils ont été souscrits sans condition aucune ».

Un premier numéro critiqué

Les critiques surviennent dès le lendemain du lancement notamment dans Gil Blas du 19 avril 1904 en première page. Franc-Nohain, l’auteur de l’article intitulé « La puissance du verbe », commence par saluer la parution de ce premier numéro, « assuré d’avance que ce journal fera des choses importantes ». Puis il raconte avec ironie les longues hésitations autour du choix du titre. En effet Jaurès, ses collaborateurs et ses associés avaient envisagé d’autres noms comme La Vie sociale ou encore La Lumière.

Franc-Nohain finit par comparer Jaurès à un de « ces convives ingénieux et aimables, qui, à la fin du repas, pour l’amusement des enfants ou le divertissements des hôtes » transforme mie de pain, coque de noix ou bouchon de champagne « en un petit objet plaisant ».

Le Gaulois du 20 avril 1904 se montre lui aussi assez caustique à propos du titre « peu compromettant » en ajoutant dans une veine conservatrice et nationaliste : « Ce n’est pas notre pays qui occupe M. Jaurès, c’est le genre humain, et son amour international refuse à donner à un bon Français de France le pas sur un socialiste d’Allemagne ». Il lui reproche à ce moment-là la condamnation de l’alliance avec la Russie tsariste alors que Le Gaulois, à l’inverse, la soutient vigoureusement.  

Le journal La Croixquant à lui, se moque le 19 avril 1904 du « style bien chaotique » de Jaurès et surtout il lui reproche l’organisation financière du journal avec un apport du capital qui doit recevoir 6% d’intérêt, ce que l’auteur de l’article juge élevé et un apport travail qui « prendra ce qui restera », ce qu’il estime « plutôt inhumain ».

Après un démarrage en trombe (138 000 exemplaires vendus), le quotidien connaît d’importantes difficultés financières en 1905, Jaurès décide alors de revoir la formule en introduisant davantage d’images et redresse la barre. L’Humanité jouera un rôle essentiel lors des grandes luttes sociales (par exemple en 1906), et lors des grandes crises politiques et internationales, et ce au-delà de l’année 1914, quand Pierre Renaudel succède à Jean Jaurès, assassiné.

Jean Jaurès caricaturé par Jean Veber, 1904 - source : Gallica-BnF

Jean Jaurès (1859-1914)

Né en 1859, devient professeur agrégé de philosophie. Il est élu député de Carmaux (Tarn) en 1885. D'abord républicain modéré, il évolue vers le socialisme en soutenant la grève des mineurs de Carmaux. À la Chambre, Jaurès dénonce la corruption lors du scandale de Panama. En 1898, il intervient à propos de l'affaire Dreyfus et soutient la cause du capitaine. Il s’engage contre la peine de mort. Pacifiste convaincu, il s’oppose en 1913 à la prolongation du service militaire (« Loi des trois ans »). Le 29 juillet 1914, à Bruxelles, il prononce un grand discours où il appelle à la paix. Le 31 juillet, il est assassiné à Paris, au café du Croissant, par Raoul Villain, un nationaliste fanatique. 

Jean Jaurès, circa 1910 - source : Gallica-BnF