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Le Congrès de Tours en 1920 : création du Parti communiste français

le par - modifié le 24/12/2023
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Le Congrès de Tours – 25-30 décembre 1920 – est l'événement à l'origine de la scission durable du mouvement ouvrier français : d'un côté, un courant révolutionnaire, qui donne naissance au Parti communiste français (PCF), et de l'autre, un courant dit « réformiste ».

Vers l’éclatement du mouvement ouvrier : un socialisme en crise (1919-1920)

Le congrès de Tours s’ouvre le 25 décembre 1920 dans la salle du Manège, rassemblant les 285 délégués venus des 89 fédérations socialistes. La SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) paraît de plus en plus divisée entre révolutionnaires et réformistes. La presse française relaie les dissensions internes du parti et les risques de scission : les délégués élus par les fédérations sont majoritairement communistes.

Les années 1919 et 1920 constituent un tournant pour le socialisme français. La SFIO est devenue un parti de masse, passant de 36 000 adhérents en 1918 à 178 732 en 1920. Pourtant le mouvement socialiste est en crise : la SFIO subit un revers aux élections législatives de 1919 et les grèves de mai 1920 sont un échec. Deux événements ont fragilisé le socialisme français : la Grande Guerre et la révolution bolchevique.

Après l’assassinat de Jean Jaurès en 1914 apparaît comme une rupture irréversible : les socialistes ont décidé de se rallier au Gouvernement de la Défense nationale. Pourtant dès mai 1915, une tendance « minoritaire » antiministérialiste et pacifiste se constitue autour de Boris Souvarine, Paul Faure et Jean Longuet. Cette « minorité » parvient à prendre le contrôle de la direction de la SFIO en octobre 1918 autour de Louis-Oscar Frossard et de Marcel Cachin.

La prise de pouvoir par Lénine et la mise en place d’un gouvernement bolchevique en Russie en 1917 provoquent un second séisme au sein du socialisme français : « L'attraction du bolchevisme n’a pas tardé à se faire sentir et maintenant c’est elle qui emporte le socialisme dans le gouffre ». Lénine instaure en mars 1919 la IIIe Internationale (Komintern) qui doit contrôler et subordonner à son autorité tous les partis communistes européens et extirper tout réformisme.

Congrès de Tours : à la sortie du congrès, Agence Meurisse, 1920 - source : Gallica-BnF

Des débats houleux qui reflètent des courants idéologiques divergents au sein de la SFIO

La SFIO s’est déchirée en plusieurs courants sur la question des 21 conditions imposées par le Komintern pour adhérer à la IIIe Internationale. Cette liste n'est pas présentée in extenso mais intégrée dans la motion d’adhésion : il s’agit donc d’un texte reformulé des 21 conditions qui a été adopté à Tours.

On distingue deux tendances au sein de la motion en faveur de l’adhésion. L’aile gauche est incarnée par Boris Souvarine et par le comité de la IIIe Internationale dont les membres sont issus du syndicalisme révolutionnaire et de la « minorité » antiministérialiste et pacifiste. Méfiante à l’égard du comité, la direction de la SFIO veut rénover la SFIO : on les qualifie de « reconstructeurs ». Frossard et Cachin sont partisans d’une adhésion mais tentent d’atténuer la violence des conditions et de les limiter à neuf, sans succès.

Les adversaires de Moscou sont menés par deux motions : l’une dite de la « résistance » sous la férule de Léon Blum, refusant totalement d’adhérer à la IIIe Internationale, l’autre, dominée par Jean Longuet et Paul Faure (« néo-recontructeurs »), refusant certaines des 21 conditions, ce qui l’exclut de l’Internationale communiste.

Les journaux quotidiens s’intéressent à la « crise du Parti socialiste » et sont frappés par l’influence de Moscou dans sa division. Elle se traduit par la présence de Clara Zetkin, véritable « œil de Moscou », et par le télégramme de Zinoviev, dirigeant du Komintern, qui ordonne l’exclusion de Jean Longuet et des réformistes malgré les tentatives de modération de Frossard.

« Comment voter contre le bolchevisme ? », affiche, circa 1920 - source : Gallica-BnF

La scission du mouvement socialiste et la naissance du PCF

Par 3208 voix pour la motion Cachin-Frossard contre 1022 pour la motion Longuet-Faure (Léon Blum ayant retiré la sienne), la majorité de la SFIO adhère sans réserve à la IIIe Internationale et devient la Section française de l’Internationale communiste (SFIC). Le 31 décembre, L’Humanité publie « Le Manifeste du Parti » et devient son  journal officiel.

Le Populaire, organe de la SFIO réformiste, déclare que « la scission voulue par Moscou est consommée ». Blum et Faure maintiennent la SFIO amoindrie, mais sur une ligne réformiste et antiministérialiste afin d’élargir la base sociale et de reconquérir les indécis. Confronté à la bolchevisation croissante du Parti communiste, Louis-Oscar Frossard décide de démissionner le 1er janvier 1923 du secrétariat général et quitte peu après le PCF. Boris Souvarine rompt également avec le Parti communiste en 1924.

Les relations entre les « frères ennemis » restent fluctuantes en fonction du contexte et des décisions de Staline : après une stratégie « classe contre classe » en 1928 faisant des socialistes des ennemis, le PCF se rapproche de la SFIO après l’émeute antiparlementaire de 1934 [voir notre dossier sur les émeutes antiparlementaires de 1934]. Cela donne naissance au Rassemblement populaire en 1935 puis au Front populaire en 1936.

Louis-Oscar Frossard (1889-1946)

Militant socialiste et antimilitariste durant la Première Guerre mondiale, il est révoqué de sa fonction d’instituteur. Il est élu secrétaire de la SFIO à 29 ans en 1918. Il aspire à reconstruire le Parti socialiste. Il a un rôle central dans le congrès de Tours et la naissance du Parti communiste en France. Il devient le secrétaire général de la SFIC. Hostile à la bolchevisation du parti, il démissionne en janvier 1923. Il créé l’Union socialiste communiste puis en 1925 retrouve la SFIO, qu’il quitte en 1935. Plusieurs fois député et ministre (entre 1935 et 1940), il reste en marge du Front populaire. Il est inquiété à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour s’être rallié à Pétain.

Louis-Oscar Frossard, député de la Martinique (1929) - source : WikiCommons