Long Format

Les débuts de la construction du canal de Panama

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

Auréolé de sa réussite du canal de Suez, Ferdinand de Lesseps veut renouveler son exploit en perçant un nouveau canal transocéanique traversant l’isthme de Panama. La France de l’après 1870 recherche des motifs de prestige et de grandeur. Pourtant, le canal de Panama est à l’origine d’un des plus grands scandales politico-financiers de la IIIe république.

Le canal de Panama : le nouveau projet de Lesseps

En mai 1879, Lesseps préside le Congrès international du canal interocéanique à Paris qui doit décider parmi différents projets de creusement du canal afin de relier l’Océan atlantique au Pacifique en contournant le Cap Horn. Il s’agit d’un vieux rêve depuis Charles Quint.

Lesseps fait accepter par le Congrès un projet de canal à niveau à Panama sur la concession obtenue par Lucien Bonaparte-Wyse du gouvernement colombien en mai 1878. Il est choisi pour mener à bien l’entreprise et rachète la concession. La presse soutient massivement le projet. 

Le canal interocéanique de Lesseps sera long de 74 km, 22 mètres de large et 9 mètres de profondeur ; son coût est évalué à 1, 2 milliards de francs. Imitant la stratégie de Suez (voir notre long format sur L’inauguration du canal de Suez), il crée la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama le 20 octobre 1880 et annonce l’ouverture d’une souscription publique de 600 millions de francs pour constituer le capital de l’entreprise.

The "Daily Mail" Chart of the Panama canal, G. Philip, Londres, 1913 - source : Gallica-BnF

Un aménagement inadapté et coûteux, mais soutenu par la presse

Les travaux du canal interocéanique : les principales machines, Le Monde illustré ; Charles Yriarte ; 19 juillet 1884 - source: Gallica-BnF

Sa fille donne le premier coup de pioche le 1er janvier 1880 mais les travaux préliminaires commencent en février 1881. Le canal est creusé selon un axe nord-sud reliant l’Atlantique au Pacifique. On recourt à des machines à vapeurs (des dragues) pour excaver les matériaux afin d’atteindre la profondeur attendue. Dans sa revue des sciences, Zaborowski, dans La Justice, décrit le percement du canal et l’état des travaux en 1884 qui se déroule « sans encombre », annonçant l’achèvement du canal fin 1888-début 1889. Il ne fait allusion à aucune des difficultés qui entravent l’aménagement du canal (ignorance ou omission dans un journal acquis au projet).

Les travaux du canal interocéanique : chantier de la Corrosita, Le Monde illustré ; Charles Yriarte ; 19 juillet 1884 - source : Gallica-BnF

La méconnaissance du terrain explique l’échec de Lesseps. Il s’obstine à réaliser un canal à niveau au mépris du relief (la montagne Culebra), des éboulements (pluies torrentielles), de la fièvre jaune (qui décime plus de 22.000 ouvriers) et du coût des travaux qui explose. Plus de 1,2 milliards de francs ont été engloutis et à peine la moitié du canal a été déblayée en 1887 ce qui n’empêche pas Le Constitutionnel de déclarer que « l’œuvre de Panama est une des affaires les plus sûres qu’il y ait au monde ».

Lesseps se résigne à un canal à écluses, moins coûteux, et demande à Gustave Eiffel de reprendre le projet (1887). Il multiplie les émissions d’obligations pour financer les travaux mais les comptes de la compagnie sont très déficitaires. Il fait appel à des hommes d’affaires, le baron Reinach et Cornelius Hertz, qui multiplient les « largesses » pour soudoyer la presse et les parlementaires. La Justice consacre ainsi une demi-page aux extraits du rapport d’activité de la Compagnie rédigé par Lesseps qui justifie sa stratégie et appelle à souscrire aux nouvelles obligations.

Canal interocéanique de Panama : Mission de Lucien N. B. Wyse 1890-91 - source : Gallica-BnF

De la faillite au scandale : la fin du « canal français »

Lesseps obtient l’autorisation par un vote de l’Assemblée d’émettre des obligations à lots en 1888 pour ouvrir le capital aux petits épargnants. Mais la souscription est un échec et les banques (Société générale, Crédit Lyonnais) décident de retirer leurs capitaux. Lesseps arrête les travaux en décembre 1888 ; la Compagnie est mise en liquidation le 4 février 1889.

Canal interocéanique de Panama : États-Unis de Colombie, 1882-1889 - source : Gallica-BnF

C’est un désastre financier : plus de 85.000 petits épargnants sont ruinés. Le gouvernement essaie d’étouffer l’affaire. Mais en automne 1892, elle devient un scandale politique majeur qui ébranle la IIIe République ( voir notre long format sur le Scandale de Panama). Le procès en mars 1893 condamne pour escroquerie et abus de confiance les Lesseps père et fils, Eiffel et des administrateurs de la compagnie.

Les États-Unis achèvent le canal entre 1903 et 1913, les eaux des deux océans se rejoignant le 10 octobre. Il est officiellement inauguré le 15 août 1914 dans une quasi-indifférence dans une France entrée en guerre. L’Humanité est un des rares quotidiens à l’évoquer dans un entrefilet (17 août 1914). Le canal devient un passage stratégique majeur du commerce international.

Ferdinand de Lesseps (1805-1894)

Diplomate français en Egypte avec le titre de vice-consul, bien introduit à la cour de Napoléon III,  Ferdinand de Lesseps, également entrepreneur, est le grand ordonnateur du creusement du canal de Suez inauguré en 1869. La réussite de son projet pharaonique à Suez l’a convaincu de rééditer son exploit 10 ans plus tard en lançant le projet de percement du canal de Panama, qui aboutit à un désastre politique et financier, pour lequel il fut poursuivi par la justice. Il est élu en 1884 à l’Académie française.

Ferdinand de Lesseps, ingénieur, canal de Suez ; photographie, Atelier Nadar ; 1900 - source : Gallica-Bnf