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Les obsèques nationales de Victor Hugo en 1885

le par - modifié le 01/06/2022
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Le 1er juin 1885, la dépouille de Victor Hugo est transférée au Panthéon.

La mort romantique du poète

De retour à Paris le 5 septembre 1870 après 19 années d’exil, Victor Hugo est accueilli en héros du peuple et partage les souffrances du siège de Paris. Après l'armistice du 28 janvier 1871, il accepte de s'engager en politique et se fait élire brièvement député de gauche à Paris, avant de devenir sénateur de la Seine en janvier 1876. Cette dernière phase de sa vie est marquée par la publication d'écrits majeurs - L'Année terrible en avril 1872, Quatrevingt-treinze en février 1874... –, qui consacrent son triomphe littéraire et sa stature de gloire républicaine. Il  soutient ardemment le projet d'amnistie des communards, finalement adopté en juillet 1880. Ses 80 ans, le 27 février 1881, donnent lieu à une immense manifestation et l'avenue d'Eylau, où il vit, est rebaptisée à son nom. Mais l'âge le rattrape et en mai 1885, à 83 ans, il tombe gravement malade. La presse rend compte au jour le jour de son état de santé, tandis que la foule se presse quotidiennement devant le domicile de l’écrivain. Il rend l’âme le 22 mai 1885, entouré de sa famille.

Désiré Laugée, Victor Hugo sur son lit de mort - source : Gallica-BnF
Désiré Laugée, Victor Hugo sur son lit de mort - source : Gallica-BnF

Aussitôt la nouvelle se répand en France et dans le monde entier. Le samedi 23 mai, dix-sept journaux parisiens dont Le Siècle (23 mai 1885) paraissent avec un cadre noir en première page.

La presse illustrée propose des dessins de la demeure du poète, reproduits dans le supplément littéraire du Figaro du 30 mai 1885, ou encore de la foule amassée autour.

Beaucoup de journalistes considèrent que l'écrivain accède ainsi paradoxalement à l’immortalité. Le Figaro affirme que le XIXe siècle est celui de Hugo comme le XVIIIe siècle fut celui de Voltaire… Mais la presse est loin d'être unanime. Le journal catholique La Croix (23 mai 1885) lui reproche sa fibre républicaine et son soutien à la Commune. En réalité, après avoir démissionné avec éclat de son siège de député le 8 mars 1871 pour protester contre les négociations de paix, l'écrivain a suivi la Commune depuis Bruxelles et a condamné, comme beaucoup de républicains, les violences. Mais il n'a pas hésité à proposer aux Communards l'asile en Belgique et a refusé toute politique répressive. Par delà les souvenirs encore brûlants de "l'année terrible", la presse conservatrice craint des débordements populaires à l'occasion des funérailles.

Supplément du Gil Blas du 27 février 1885 - source : Gallica-BnF
Supplément du Gil Blas du 27 février 1885 - source : Gallica-BnF

Victor Hugo (1802-1885)

Élevé dans un milieu royaliste, Victor Hugo a effectué un long et complexe parcours politique, dont le fil rouge est la défense des opprimés. Chef de file des romantiques dès les années 1820, il écrit et fait jouer de nombreuses pièces de théâtre (Hernani en 1830, Ruy Blas en 1838...) qui sont autant des succès que des scandales. Ardent défenseur de la liberté de création artistique, il subvertit les règles de la tragédie classique, ce qui ne l'empêche pas d'être élu à l'Académie française en 1841. Avide d'exercer une influence sur son siècle, il se rapproche de Louis-Philippe avant d'être nommé pair de France en 1845. La révolution de février 1848 le fait basculer vers la république. Élu député de Paris à l’Assemblée constituante en juin 1848, puis à l’Assemblée législative en mai 1849, il fait alors partie des modérés, partisans de l'ordre, mais se détache peu à peu du prince-président élu en décembre 1848, par hostilité à sa politique trop cléricale. Résistant au coup d'État du 2 décembre 1851, il doit s'exiler à Bruxelles puis à Jersey et Guernesey pendant près de dix-neuf ans et ne revient en France qu'à la chute du Second Empire. Devenu une gloire populaire, il est réélu député de Paris en 1871 puis sénateur en 1876. Après des obsèques nationales, il est inhumé au Panthéon le 1er juin 1885.

Victor Hugo - source : Gallica-BnF
Victor Hugo - source : Gallica-BnF

L’organisation de funérailles nationales

Le 24 mai, le gouvernement décide d’offrir à l’écrivain des funérailles nationales, avec l'exposition du corps à l’Arc de Triomphe et une inhumation au Père Lachaise, dans la sépulture familiale. Ce projet est approuvé par la Chambre et le Sénat, mais suscite de violentes controverses.

Le Monde illustré, 6 juin 1885 - source : RetroNews-BnF
Le Monde illustré, 6 juin 1885 - source : RetroNews-BnF

Anatole de la Forge, ancien journaliste et préfet, élu député de la Seine en 1882, lance alors l’idée du Panthéon. Mais il convient au préalable de désacraliser l’édifice, une église édifiée sous Louis XV, convertie au culte des grands hommes par décret de l’Assemblée nationale en avril 1791, puis rendue au culte catholique par Napoléon III en 1852. Cette proposition ne pouvait manquer de susciter le courroux de l’opinion catholique, ainsi que l’exprime le journal L'Univers (28 mai 1885) qui critique vertement la conversion du monument.

Obsèques de Victor Hugo - source : Gallica-BnF
Obsèques de Victor Hugo - source : Gallica-BnF

La droite conservatrice et royaliste, quant à elle, redoute le retour aux violences révolutionnaires et à la Commune ainsi que le dénonce Le Gaulois (27 mai 1885) qui invite son lectorat à ne pas participer aux cérémonies. Cette hostilité n'empêche pas le Journal officiel du 27 mai d'annoncer que le Panthéon sera rendu au culte des grands hommes et que le corps de Victor Hugo y sera déposé.

Bonnat, Victor Hugo, 22 mai 1885 - source : Gallica-BnF
Bonnat, Victor Hugo, 22 mai 1885 - source : Gallica-BnF

De l’Arc de Triomphe au Panthéon

Le 28 mai débutent alors les travaux qui visent à transformer le Panthéon en temple républicain: on enlève le mobilier religieux et on replace au fronton l'inscription "Aux grands hommes, la patrie reconnaissante". La presse catholique, notamment L'Univers (30 mai 1885) a beau invoquer la profanation et le sacrilège, toute la gauche républicaine se réjouit de ce retour aux sources révolutionnaires. L’exposition du corps est prévue à l’Arc-de-Triomphe le 30 mai mais l’agitation générale conduit le pouvoir à décaler la date des obsèques  et à réduire l’itinéraire du convoi funèbre. 

Les funérailles de Victor Hugo - source : Gallica-BnF
Les funérailles de Victor Hugo - source : Gallica-BnF

Le déroulé et la liste des discours sont publiés au Journal officiel le 31 mai. Le 1er juin, la procession draine une foule immense, estimée à plus d'un million de personnes, chiffre sans précédent. L'écrivain a réclamé par testament "le corbillard des pauvres", auxquels il lègue par ailleurs cinquante mille francs. Parti de l'Arc-de-Triomphe à 11h30, le cortège suit, sur cinq kilomètres, l'avenue des Champs-Élysées, les Bds Saint-Germain et Saint-Michel, enfin la rue Soufflot, pour arriver au Panthéon vers 19h. On se bat pour obtenir les meilleures places et assister au spectacle. Quelques années à peine après la fin de l'Ordre moral et la consolidation du régime, l'événement se mue en véritable apothéose républicaine.

Le centenaire de Victor Hugo - source : Gallica-BnF
Le centenaire de Victor Hugo - source : Gallica-BnF

Bibliographie

 

Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, tome I : La République​, Paris, Gallimard, 1984.


Sophie Grossiord, Victor Hugo. "Et s'il n'en reste qu'un"..., Paris, Découvertes Gallimard, 1998.

C. Georgel, « Les funérailles de Victor Hugo : un parcours “républicain” », dans Les Traversées de Paris, Paris, Éditions du Moniteur, 1989.