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« Quatre mois parmi nos noirs d’Afrique » par Albert Londres en 1928

le par - modifié le 05/08/2020
le par - modifié le 05/08/2020

L’occasion pour le célèbre journaliste de dénoncer les abus du système colonial.

Un reportage dans l’air du temps

Dans les années 20, les années folles, Paris connaît la vogue « nègre ». L’Afrique fait rêver, l’exotisme séduit. La Croisière noire Citroën en 1924-1925 suscite les passions. C’est dans ce contexte que parait en 1927 Voyage au Congo, le journal de voyage d’André Gide et qui dénonce les exactions autour de la construction de la voie ferrée Congo-Océan. Ce témoignage accablant entraîne un scandale politique qui déchire les parlementaires. Le sujet passionne et à ce moment-là Albert Londres fait la une.

En 1927 il est à l’origine d’un scoop : il vient de retrouver en Amérique du Sud Dieudonné, un anarchiste proche de la Bande à Bonnot, en fuite et recherché de tous. Convaincu de son innocence, il le ramène à Paris. Cette aventure qui fait la une du Petit Parisien entraîne une forte hausse du tirage pour le journal. Albert Londres est alors un journaliste à succès.

Vue du Congo à 5 km en aval de Brazzaville et avant les rapides. 39 photos d'A.E.F., 1924 - source : Gallica-BnF

Londres en Afrique

Jeunes Woba. 39 photos d'A.E.F, 1924 - source : Gallica-BnF

Fort de sa célébrité, il parvient à convaincre la direction du Petit Parisien de lui financer son long et couteux reportage en Afrique pour « lever le voile » sur la situation coloniale. Parti de Bordeaux sur le Belle-Ile en janvier 1928, il débarque à Dakar le 1er février 1928 et en profite pour tourner en dérision l’administration coloniale. Il arpente la région, du Sénégal au Congo, de l’AOF à l’AEF, en train, en auto, à cheval, à pieds, en bateau,  en chaise à porteurs… Le début du voyage est plutôt placé sous le signe du loufoque et du pittoresque. Il passe bien par Lambaréné au Gabon mais ne mentionne même pas Albert Schweitzer et son hôpital.

Le ton change quand il approche de l’Afrique équatoriale et atteint Brazzaville. A son tour, après André Gide, il découvre la tragédie du Congo-Océan, le travail forcé, les abus commis par les contremaîtres européens. Il dénombre les victimes du chantier (plus de 17 000) et alerte les lecteurs sur le drame qui se joue. Son voyage est relaté dans 26 chapitres rédigés à l’été 1928 et publiés dans Le Petit Parisien, sous le titre « Quatre mois parmi nos Noirs d’Afrique ». Le reportage, qui s’apparente à un feuilleton, n’est pas celui d’un ethnologue, puisque Londres y rassemble les Africains dans un groupe homogène sans faire de distinction selon les ethnies : il tient parfois un propos très généralisant et son approche, aussi engagée qu’elle soit, reste littéraire. 

Il suscite de nombreuses critiques dans la presse coloniale et Le Temps, tout en reconnaissant le talent de Londres pour le pittoresque, rappelle « la grandeur de la tâche accomplie par nos compatriotes dans les terres lointaines où flotte le drapeau français. ». En 1929, l’éditeur Albin Michel réunira les différents articles en un livre intitulé Terre d’ébène, qui fera, lui aussi, grand bruit.

 

Albert Londres (1884-1932)

Albert Londres, né en 1884, écrit son premier grand article en 1914 en tant que correspondant de guerre à l’occasion des bombardements sur la cathédrale de Reims. Il devient correspondant étranger sur le front d’Orient pour Le Petit Journal  qui le licencie en 1919. Dans les années 20 il se rend en Asie (Japon, Chine et Inde) et écrit pour Le Petit Parisien. En 1923, son reportage Au bagne à Cayenne rencontre un grand retentissement. Éclectique, il s’intéresse également au Tour de France et disparait dans des circonstances mystérieuses en 1932 lors de l’incendie du Georges Philippar paquebot qui revenait de Chine. 

Albert Londres. Tableau de Raymond Galinié ; Revue de Comminges, janvier 1994 - source : Gallica-BnF