L’Aiglon, pièce de six actes écrite en alexandrins par Edmond Rostand, est mise en scène pour la première fois le 15 mars 1900 au théâtre Sarah Bernhardt. Deux acteurs de renommée internationale tiennent les rôles principaux : l’actrice Sarah Bernhardt joue le rôle de l’Aiglon, costumée en homme, et Lucien Guitry celui de Séraphin Flambeau.
Ce drame est centré sur la figure du duc de Reichstadt. Fils de Napoléon Ier et de Marie-Louise d’Autriche, Napoléon II est aussi nommé roi de Rome puis duc de Reichstadt. Après l’abdication de son père le 20 avril 1814, il est recueilli par son grand-père et élevé à Vienne, au palais de Schönbrunn où une partie de l’intrigue se noue. Menant une vie de reclus, Napoléon II se questionne sur son existence, sur sa destinée et sur l’héritage de son père, dont la gloire le hante. Il va alors tenté de rejoindre la France afin de succéder à son père.
Dans cette pièce, Edmond Rostand s’empare d’un sujet politique. Après la défaite de 1870, la France recherche des occasions d’exalter sa grandeur. C’est donc vers son passé qu’elle se tourne, notamment la période impériale. Dans Le Gaulois du dimanche, le dessinateur Sem caricature Napoléon Ier décorant Sarah Bernhardt en costume de scène afin de la remercier pour sa contribution au mythe napoléonien. L’auteur Edmond Rostand assiste à cette remise de médaille, vêtu de son habit d’académicien (icono 1).
La pièce bénéficie d’une large couverture médiatique. Durant les jours qui précèdent la première, plusieurs journaux publient des articles annonçant la pièce mais également relatant la vie du duc de Reichstadt. Par contre L’Aurore publie un article virulent contre « une très belle œuvre littéraire » qui est aussi « une mauvaise œuvre politique » (L’Aurore, 15 mars 1900). La générale fait également l’objet d’articles.
À l’issue de la première représentation, tous les journalistes, tous les critiques sont unanimes : la pièce est un succès et Sarah Bernhardt triomphe dans un rôle qu’elle incarne à la perfection. Les articles commencent tous par la reconnaissance du talent d’Edmond Rostand (Le Siècle, 16 mars 1900) qui s’attaque à un sujet délicat (L’Aurore, 16 mars 1900). L’actrice principale y est divine (L’Écho de Paris, 17 mars 1900), superbe et magnifique (Le Petit Parisien, 16 mars 1900). Le Gaulois (16 mars 1900) résume en une phrase l’ensemble des articles publiés : « L’Aiglon, c’est Sarah Bernhardt ».
Si tous les articles font l’éloge de la représentation, certains critiquent ouvertement une pièce politique. L’Aurore (15 mars 1900) regrette une œuvre littéraire qui vienne alimenter la propagande napoléonienne. Le lendemain, le même journal déplore que Napoléon Ier, « égorgeur de toutes les libertés » soit présenté comme un « défenseur de la presse ». Dans le journal La Croix (17 mars 1900), un parallèle est fait entre cette « pièce bonapartiste » et le général Boulanger.
Sarah Bernhardt peut être considérée comme la première star internationale de la scène théâtrale. Forte d’un talent unanimement reconnu, elle rencontre plusieurs fois le succès avec Lorenzaccio d’Alfred de Musset. Elle réalise plusieurs tournées mondiales, jouant à New York par exemple. Installée à Paris en 1893, elle prend la direction de plusieurs théâtres puis fonde le sien en 1898. Elle n’hésite pas à s’emparer de rôles masculins, se travestissant à trois reprises pour jouer Hamlet, Lorenzaccio puis L’Aiglon.
Mais si elle dispose d’un talent de comédienne indéniable, elle est aussi une actrice complètement maîtresse de son image (icono 6). Elle a parfaitement compris le fonctionnement des médias du XXe siècle naissant et réussit à les utiliser (icono 4). Elle veille à son image et en fait un produit. Elle se fait photographier par Nadar afin de faire réaliser des cartes postales qui sont vendues (iconos 2 et 3). Elle fait également de la publicité, comme pour le phonographe Pathé (icono 5). Elle utilise aussi la presse comme Le Gaulois qui publie en une un article rédigé par Sarah Bernhardt elle-même le 25 mars 1900.