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1862 : « L’Origine des espèces » de Darwin

le par - modifié le 27/03/2023
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L’image de l’Homme descendant du singe va contribuer à la diffusion de la thèse de Darwin ainsi que de ses critiques. Remettant en cause de nombreuses certitudes scientifiques mais également de nombreuses croyances, Charles Darwin va bouleverser le monde scientifique en 1859. En 1862, l’édition de la première version traduite en français de cet ouvrage va également susciter de nombreuses polémiques en France.

Darwin et la théorie de l’évolution

Après la publication en 1858 de l’ouvrage d’Alfred Russel Wallace intitulé De la tendance des variétés à se démarquer indéfiniment du type original, Charles Darwin donne une communication devant la Linnean Society of London le 1er juillet 1858. Il entreprend ensuite la rédaction d’un ouvrage qu’il publie le 24 novembre 1859 et ayant pour titre De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie.

Dans cet ouvrage, le scientifique expose sa théorie de l’évolution graduelle des espèces vivantes selon laquelle la nature « assure la prééminence à tous les êtres qui sont doués de quelques caractères favorables », reprenant des hypothèses formulées dès la fin du XVIIIe siècle. Véritable succès, la première édition est épuisée en quelques semaines. Cependant, en raison de nombreuses critiques, Darwin mentionne le nom du « Créateur » dans sa deuxième édition.

Charles Darwin pris en photo par Barraud - source : Gallica-BnF

Clémence Royer et la première traduction française

La traduction française, qui paraît en juin 1862 aux éditions Guillaumin, est réalisée par Clémence Royer, figure du féminisme et de la libre pensée, comme le prouve l’article qu’elle rédige pour le journal Le Temps.

Outrepassant son rôle de traductrice, Clémence Royer, « femme courageuse, esprit ferme autant que richement doué d’aptitudes » selon André Sanson, rédige une préface dans laquelle elle développe ses idées et insère des notes de bas de page afin de commenter la théorie de Darwin. Favorable aux idées positivistes, elle entend contribuer au triomphe de la science sur l’obscurantisme tout en prônant des idées proches de l’eugénisme et en dénonçant la protection offerte aux plus faibles.

Le titre donné à cette traduction démontre la volonté de mettre en avant la notion de progrès et la volonté de se rapprocher de la théorie de Lamarck, ce dont s’inquiète Darwin lui-même lorsqu’il en reçoit un exemplaire. C’est pourquoi, les éditions suivantes ont un titre différent, proposé par Darwin lui-même, l’expression « lois du progrès » étant retirée.

La réception de l'ouvrage

Dès sa parution, la thèse de Darwin suscite de nombreuses critiques. Dans son ouvrage Contributions à l’histoire naturelle des États-Unis, le naturaliste suisse Louis Agassiz consacre un chapitre à la question de l’origine des espèces afin de « contrebalancer le succès obtenu » par Darwin et de soutenir l’idée de l’« immuabilité des espèces ».

Auguste Laugel conclut son article en rappelant que « la science ne doit jamais oublier […] qu’un esprit anime le monde, que les idées divines sont la véritable réalité qu’il faut découvrir sous les apparences ». On déplore également que les affirmations « imaginées » ne puissent être soumises « à la vérification purement expérimentale », ce qu’entreprend pourtant le géologue Adolphe d’Archiac avec succès, selon André Sanson.

En mars 1864, Pierre Flourens, membre de l’Académie et partisan de la thèse fixiste, publie Examen du livre de M. Darwin sur l’origine des espèces dans lequel il fustige « les hypothèses les plus spécieuses, mais en opposition avec l’expérience ».

De grandes plumes s’engagent aussi contre les thèses de Darwin, comme Victor Hugo qui l’annonce clairement dans La Légende des siècles, se disant « un peu rêveur » qu’un « grave Anglais, correct, bien mis, beau linge » lui apprenne qu’il le fait singe. Guizot, dans ses Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, s’attaque également à Darwin, mais aussi à Littré et Renan (eux partisans de la thèse de Darwin), évoquant contre eux le « péril de la ruine sociale, le sceptre du néant, de l’athéisme, son incompatibilité profonde avec l’esprit humain » .

Dans sa Lettre à une provinciale, Charles Dollfus se prête à une comparaison entre l’homme et le gorille. Refusant de céder aux deux camps opposés et d’aller de Charybde en Scylla, il affirme son indifférence, précisant qu’il lui « suffit de savoir que, sorti ou non du gorille, il nous importe de vivre en homme et non pas en gorille ».