La presse française et "l'âme russe"
Alors que la révolution gronde au pays des tsars, les journaux français s'épanchent sur la fameuse "âme russe". Une expression qu'on retrouve partout, sans que personne ne soit bien sûr de ce qu'elle signifie...
Qu'est-ce que l'âme russe ? Au début du XXe siècle, alors que la révolution est sur le point de bouleverser à jamais l'histoire du pays, nombreux sont les journalistes, éditorialistes et écrivains français à se poser la question... Une chose est sûre : elle existe ! Mais ses contours sont plutôt flous.
Certes, comme l'avance en 1916 le maire de Lyon Édouard Herriot dans Les Annales politiques et littéraires, "l'âme russe a des élans prodigieux". Mais lesquels ? S'agit-il de ce christianisme mystique et de cet amour inconditionnel des plus faibles qu'évoquait Le Gaulois en 1893 ?
"Voilà l'âme russe. Pitié pour les humbles, pour les humiliés, les pauvres, pitié agenouillée, sanglotante, pitié éperdue. Et, d'enthousiasme, par passion intérieure, en dehors de tout raisonnement, de toute thèse, l'âme russe trouve des applications nouvelles de la pitié, c'est-à dire qu'elle la répand sur les êtres les plus oubliés jusqu'ici par la charité la plus attentive."
Ou bien de cet afflux incontrôlable de pulsions destructrices, si typique des personnages de Dostoïevski ou de Tolstoï, dont parle Le Journal en 1913 ?
"Il y a ce que l'on a appelé le mal russe. [...] Impulsivité, goût des extrêmes, manque de mesure, inquiétude, angoisse, désespoir, sentiment exagéré du tragique de la vie."
En 1934, l'ethnologue Jules Legras consacre au problème un ouvrage entier : dans L'Âme russe, il liste ses différentes caractéristiques. D'après lui, le Russe est à la fois superstitieux, indolent, fataliste, grégaire, impulsif et imprévoyant. Toutefois, Legras lui trouve quelques qualités :
"L'âme russe possède en propre et de façon irréductible une séduction et une élégance auxquelles, tout d'abord, on ne résiste pas. Il y a quelque chose de féminin et d'ingénu dans son adresse et sa générosité. […] Le Slave a la facilité et l'amour de la parole ; il y met souvent de l'intelligence et même de l'esprit."
Difficile de faire le tri dans cette avalanche de traits de caractère souvent opposés... Au fond, la véritable spécificité de l'âme russe semble justement résider dans sa nature insaisissable, contradictoire, incompréhensible pour les non-Russes. Ainsi, pour L'Univers du 23 septembre 1917, l'âme slave est "mystérieuse et mystique, trouble et impénétrable à l'Occident". Le Figaro du 4 juin 1918 parle du "mystère de l'âme russe". Et pour Le Gaulois du 19 janvier 1922, cette dernière a carrément "une surface indéfinie".
Le mystère russe
L'affaire est entendue :...
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