Chronique

"La Révolution russe, une histoire française"

le 08/11/2019 par Marina Bellot
le 20/02/2017 par Marina Bellot - modifié le 08/11/2019
L'Humanité du 17 mars 1917 - Source RetroNews BnF

Comment la Révolution russe de 1917 a-t-elle été perçue et décrite en France ? L'historien Éric Aunoble, auteur de "La Révolution russe, une histoire française", revient sur l'enthousiasme puis les craintes que la chute du régime tsariste a provoqués dans l'Hexagone.

En 1917, les grands quotidiens ont les moyens de couvrir efficacement les événements en Russie en s’appuyant sur les agences de presse et les transmissions télégraphiques et radiophoniques. Pourtant, le compte rendu des faits est pour le moins partiel. Pourquoi ?

La première raison, c’est la guerre qui fait que la Russie est séparée de la France par deux lignes de front, avec les empires centraux au milieu. Ceux qui se rendent en Russie doivent faire le tour par les pays scandinaves, voyager en bateau puis par voie terrestre.

Mais c’est aussi un problème politique. Le régime tsariste avait de très bonnes relations avec la France. La bourgeoisie avait massivement placé son argent dans les emprunts russes. Tout le milieu d’anciens exilés, prisonniers politiques ou réfugiés est beaucoup moins connu des autorités politiques et des journalistes français. En plus, on a su plus tard, quand les archives tsaristes ont été rendues publiques par les bolcheviques, que toute une partie de la presse française recevait de l’argent des autorités tsaristes pour présenter la Russie de façon très positive… Cela concernait les plus grands titres français, notamment Le Matin (voir notre article sur le sujet).

Quasiment du jour au lendemain, la Russie que connaissaient les politiques et les journalistes a totalement disparu pour être remplacée par une Russie où ce sont les milieux populaires qui s’expriment.

C’est donc un chamboulement peu rassurant pour la presse.

D’autant moins rassurant que la France est en guerre et que la Russie était un allié et qu’elle était vue comme un réservoir d’hommes, un pilier de la guerre. L’année 1917 est celle d’une lassitude de tous les pays en guerre, et c’est à ce moment-là qu’il y aurait eu besoin de bonnes nouvelles.

Au tout début pourtant, la Révolution russe provoque un certain enthousiasme en France…

Au début oui, la Révolution russe est vue uniquement comme la réalisation, avec 150 ans de retard, de la Révolution française en Russie. Elle est présentée comme une révolution libératrice, mais il aurait fallu qu’à peine commencée, elle s’arrête tout de suite et qu’on passe à une République centralisée, hiérarchique, une République d'ordre. Or ce n’est pas ce qui se passe.

Les événements continuent, contrairement à tout un tas de révolutions. Loin de s’arrêter à la chute de l’ancien dirigeant, c’est presque à ce moment-là que ça commence et que tout le pays entre en révolution, alors que du point de vue des alliés il aurait fallu changer la tête du pouvoir, mais c’est tout.

Dans les nouvelles qui créent l’inquiétude, il y a la création du Soviet à Petrograd (voir par exemple L'Ouest-Éclair du 9 novembre : "Les gens des Soviets ont promis aux ouvriers de gros salaires et peu de travail, aux paysans la terre du voisin. Le peuple n'a pas encore compris qu'ainsi on menait le pays à la famine, à la dislocation, à la ruine"). L’ordre n°1 est de décréter que les soldats doivent voir reconnus leurs droits politiques et ne doivent plus être tenus à l’obéissance que dans le cadre du service, et qu'à l’extérieur ils doivent être totalement libres. On est deux ou trois mois avant les mutineries dans l’armée française, et même si on ne les a pas vues venir, on sentait bien que la discipline était moins acceptée en 1917 qu’en 1914.

L’Humanité ...

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