Le sol de France est trop morcelé

Nous voulons parler de l’incroyable lotissement de nos provinces, de cet invraisemblable et fantastique échiquier qu’offre l’aspect de certaines régions… Les carrés, les rectangles, les trapèzes, les triangles, en un mot les figures les plus variées et les plus complexes de la géométrie descriptive, s’entremêlent de la façon la plus imprévue… Çà et là, quelques parcelles d’une étendue assez vaste plaque une grande tache ; mais partout à l’entour c’est un enchevêtrement extravagant… Des longues bandes de terrains, étroites comme une chambre, s’enfuient au loin ; des champs de forme trapézoïdale s’entremêlent avec de véritables lanières… Certaines parcelles, grandes comme des mouchoirs de poche, s’étirent de la façon la plus bizarre, et d’autres, non moins minuscules, s’alignent en interminables rangées…

Cela ne date pas d’aujourd’hui, la France ayant de tout temps été un pays de petite propriété… Mais, morcellement et petite propriété ne sont pas synonymes, et c’est ce que nous allons essayer de montrer.

Sur une étendue cultivée de 50 millions d’hectares, on ne compte pas moins en France de 125 millions de parcelles !

Nous ne pouvons mieux faire que de citer, à titre d’exemple, les lignes suivantes de M. Ardouin-Dumazet, parues dans le Journal d’Agriculture pratique, de 1912.

« Dans l’île de Ré, écrit cet intéressant auteur, j’ai rencontré des champs n’ayant pas plus de deux mètres carrés. Pour mettre en culture ce domaine d’une si invraisemblable ténuité, on voit parfois des propriétaires venir d’une partie très éloignée de l’île. »

Voyez le cas de la commune de Chaingy dans le département du Loiret, qui, pour une superficie de 2.179 hectares, comporte 48.000 parcelles, soit une moyenne d’un peu plus de quatre ares par parcelle !

Inconvénient du morcellement

Quant aux inconvénients que présente un tel morcellement des terres, poussé presque à l’infini, des colonnes entières ne suffiraient pas à les énumérer… Pertes de terrains par suite des limitations par des haies ou des fossés, difficultés de travail, pertes de temps considérables, nécessité de chemins pour desservir les parcelles enclavées, impossibilité de la traction animale dans les champs où un cheval n’a pas la place de se tourner, difficulté de surveillance, difficulté à employer les machines agricoles, surcroît de charges et d’impôts pour transmissions, mauvaise répartition des engrais…

D’un autre côté, les drainages ; irrigations, assolements, amendements ; sont rendus presque impraticables…

Et que dire des innombrables procès et querelles soulevés par les délimitations de parcelles !... Les plaideurs ont certes là de belles occasions d’exercer leurs talents de Chicaneau… Les chiffres sont d’ailleurs à l’appui, et une commission extraparlementaire du cadastre n’a pas relevé, dans le demi-siècle dernier, moins de cinquante mille procès en bornage… Quelle aubaine pour les greffiers de justice de paix !...

Quant à la culture intensive, il serait ridicule d’en parler !