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L’Écho de Paris, 29 juin 1919

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L’Écho de Paris
29 juin 1919


Extrait du journal

ta' paix avec l'Allemagne est conclue. Voilà terminées les années d'héroïsme et de misère pendant lesquelles 1?. France s'est montrée si grande. Jamais nous n'avons eu tant de raison d'être fiers, et toutes les critiques, même justes, ne diminueront pas cette paix glorieuse. Au reste, il est de tradition que la paix déçoit toujours quelque espérance. O11 en accuse la faiblesse des négocia teurs : peut-être faudrait-il accuser l'excès des espérances. Des générations de bons Français, au siècle dernier, ont maudit les traités de Vienne et elles avaient bien -raison, puisque ces traités enregistraient nos défaites : l'empereur Napoléon III qui s'occupait avec persévérance à les dé truire, proclama un jour qu'ils n'existaient plus et le pu blic applaudit. Il fallut la guerre de 1866 et l'installation de l'Allemagne unifiée au centre de l'Europe pour faire sentir tout le prix des garanties que pendant un demisièçle la politique d'équilibre de la diplomatie française avait su assurer à la France et à l'Europe. '.Mais s'il y eut jamais une paix glorieuse, ce fut bien la paix des Pyrénées qui acheva l'œuvre de Richelieu, et cependant dans tous les salons et toutes les ruelles de Paris, elle fut accueillie par des épigrammes et des vau devilles. Saint-Evremond, qui était un homme d'une grande ouverture d'esprit, en fit tant qu'il dut quitter Paris et prendre le chemin de Londres, où il retrouva, pour son bonheur, la nièce de ce Mazarin qu'il avait poursuivi dis ses brocards. A la vérité, un traité ne vaut que par l'application qui en est faite. — En 1807, Napoléon croyait avonr réduit lai Prusse à merci pour toujours : la Prusse trouva dans le traité même qu'il lui imposa l'origine de son relèvement, puisque, sous le coup de la nécessité, elle y puisa l'idée des institutions militaires qui lui permirent de rentrer dans la lutte en' 1813, et qui ont été le fondemeiit de sa gran deur. Il importe donc, si nous voulons recueillir le fruit de nos victoires, que nous tenions la main à l'application du traité qui met fin à la guerre avec l'Allemagne. C'est là l'essentiel. — Cela comporte de la part du pays tout entier une vue réaliste 'des conditions nécessaires au main tien de notre puissance et un effort persévérant pour les remplir : nos institutions militaires ne doivent-pas être affaiblies,,ni nos alliances ébranlées. Albert Sorel, qui était un maître, a remarqué que les traités étaient l'expression des rapports qui existent au moment où ils sont conclus, entre les forces matérielles et les forces morales des Etats, et que les droits qu'ils stipu lent ne survivent jamais aux conditions dans lesquelles ces droits ont été établis. — C'est là une vérité d'expé rience, et's'imaginer que la victoire une fois gagnée^ et le traité conclu, nous n'aurons plus d'effort à faire pour en recueillir les fruits, ce serait nous payer, de mots et être trop indulgent à nous-même. — Il est d'un devoir étroit pour tous les Français qui aiment leur pays de maintenir; en lui le sentiment des devoirs positifs qui s'imposeront à Iul On ne peut comparer la paix qui se conclut aujourd'hui1 qu'à celle qui fut conclue en 1815, et qui régla pour 50 ans le sort du monde. — L'œuvre de 1815 a péri parce que les souverains et les diplomates réunis à- Vienne avaient calculé et équilibré les forces matérielles des Etats, mais n'avaient pas tenu compte des forces morales que la Révo lution et l'empereur avaient si rudement cueillies dans le cœur des peuples. — L'originalité de la paix de 1919 aura été que pour la première fois des vainqueurs réunis pour décider du sort du monde ont commencé par proclamer qu'ils voulaient faire une paix de justice, une paix de droit, réparer les iniquités passées, et panser les blessures cruelles dont tant de populations avaient souffert au cours des siècles. On a vu apparaître la théorie des revenants de l'histoire, les Polonais, les Tchèques, les Roumains de Transylvanie, les Yougo-Slaves, les Arméniens, les Arabes et jusqu'aux Grecs dur Pont, qui voudraient faire revivre le royaume de Mithridate. Sans doute, il n'entre dans l'esprit de personne que toutes les injustices du passé seront réparées, mais l'éveil de ces nationalités opprimées: et le spectacle de leur résurrection est, en soi, une leçon de justice. La paix avec l'Allemagne est une premièrë paix, la plus importante assurément et la seule sensible à l'opinion, mais elle n'est pas toute la'paix. Il reste à traiter avec l'Autriche, la Bulgarie et la Turquie, à régler la question de l'Orient européen, à donner à ces jeunes nations déjà jalouses de leur indépendance, et déjà ambitieuses, leur! limites et leur statut. L'œuvre à accomplir exige encoï® beaucoup de lumières et de la bonne volonté des gouvet» nements alliés et associés. L'opinion du monde doit leur; faire confiance....

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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