Écho de presse

1911 : « On a changé l’heure de Paris ! »

le 14/01/2020 par Michèle Pedinielli
le 29/01/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 14/01/2020
Montre à gousset et chaîne – source : WikiCommons

Pendant des décennies, la France a refusé de s’aligner sur le méridien de Greenwich, arguant que celui de Paris était… « meilleur ». Elle sera la dernière nation à rejoindre l’heure GMT.

Le matin du 11 mars 1911, les Français se réveillent en ayant profité de quelques minutes de sommeil en plus. À minuit, toutes les horloges officielles (dans les mairies, les gares, les églises, etc.) ont été arrêtées pour redémarrer 9 minutes et vingt-et-une secondes plus tard. La raison est simple : l’heure de Paris – et de la France – s’est alignée sur celle du méridien de Greenwich, référence internationale.

La raison est simple certes, mais avant d’en arriver là, la France a tergiversé pendant de longues décennies.

En 1871 déjà, le congrès des sciences géographiques d’Anvers, en Belgique, pose la question d’une référence horaire universelle, notamment pour des questions de navigation.

« Les conclusions les plus importantes exprimées par le congrès sous forme de vœux ont été proposées pour la plupart par la section de navigation. Je citerai le vœu relatif à l'adoption pour les cartes routières marines du méridien de Greenwich comme premier méridien. »

Quelques années plus tard, les mêmes questions se posent au congrès de Paris. Mais, la géographie n’étant jamais loin de la politique, des questions relatives à l’orgueil national émergent.

« Je ne serais pas étonné cependant qu'un jour ou l'autre (je m'imagine prévoir les choses de bien loin) nous ayons des cartes marines sur lesquelles la circonférence ou plus probablement encore l'angle droit compterait 100 degrés, je serais plus surpris si tous les peuples parvenaient à s'entendre sur le premier méridien, parce que cette réforme entraînerait peut-être plus d'inconvénients pour les observatoires que d'avantages pour la navigation, et qu'il s'y mêle des difficultés d'amour-propre national.

Or, les nations sont à cet égard comme les hommes ; les raisons, fussent-elles les meilleures du monde, triomphent malaisément de la passion. »

En effet, pourquoi choisir un méridien plutôt qu’un autre, et surtout, pourquoi Greenwich plutôt que Paris ?

En octobre 1884, une conférence sur ce sujet est organisée à Washington. Deux scientifiques français, Jules Janssen, directeur de l’Observatoire de Paris et Albert Lefaivre, consul général à Washington, représentent la France. Ils en sont persuadés, l’adoption du méridien de Paris est la décision la plus logique. Et de toute façon, on ne peut pas « abandonner Paris »

« Le Programme raisonné d’un système de Géographie que vient de publier M. de Chancourtois, inspecteur général des mines, est fait pour ramener l’attention sur la question du méridien, qui n’a pas encore reçu de solution définitive, puisqu’une conférence internationale va se réunir à Washington le 1er octobre pour la traiter de nouveau et pour délibérer à la fois du méridien initial commun et de l’heure universelle.

M. de Chancourtois, et avec lui beaucoup de savants des plus autorisés, sont d’avis que la France ne peut abandonner le méridien de Paris que si le nouveau méridien proposé est choisi par des considérations naturelles et rationnelles, de manière à mériter à tous égards le titre international.

Il n’estime pas que ce soit le cas du méridien de Greenwich, tout en avouant que ce n’est pas non plus le cas du méridien de Paris. »

Bref, comme le répète inlassablement le très franco-français Le Gaulois : « Ni Allemands ni Anglais, Français ! »

Pendant la conférence, Jules Janssen, sentant les Anglo-Saxons en position de force, fait une proposition.

« Il demande, en effet, que l'on prenne pour premier méridien celui qui, passant par le détroit de Behring, n'appartient à aucune nation, car il ne rencontre que des îlots sans importance, et il sépare le monde habité en deux parties, l'ancien à l'Orient et le nouveau à l'Occident.

C'est certainement celui que Ptolémée aurait conseillé de prendre, s'il avait vécu de notre temps. Ce méridien est déjà adopté depuis près de vingt ans pour l'observation météorologique universelle, dont le service des signaux de Washington a pris l’initiative. »

Mais la proposition ne convainc pas. Et le 21 octobre, la conférence statue et choisit Greenwich au détriment de Paris (ou du « détroit de Behring »). Les différentes nations du monde vont s’aligner petit à petit sur cette nouvelle référence. Sauf… la France, qui résiste encore et toujours. Le 14 mars 1891, une nouvelle loi est passée :

« Le Journal officiel publie la loi suivante, adoptée par le Sénat et par la Chambre :
“L’heure légale, en France et en Algérie, est l'heure temps moyen de Paris.”
Cette loi sera exécutoire comme loi d’État.
 »

Finalement, 20 ans plus tard, Paris décide d’adopter l’heure GMT (Greenwich Mean Time). Et le 10 mars 1911, les pendules s’arrêtent donc à minuit pour suspendre le temps pendant 9 minutes et vingt-et-une secondes.

« À minuit moins le quart, l'attente devint plus fiévreuse, les esprits se faisaient silencieux, comme si quelque chose de grave, de mystérieux, d'émouvant allait se produire. Des gens sortaient leurs montres, prêts à les régler sur l'heure nouvelle. Bien, voici minuit, le moment fatidique était arrivé !
Instantanément, toutes les horloges pneumatiques s'arrêtèrent. Neuf minutes vingt et une secondes plus tard, les aiguilles reprirent leur marche circulaire.
L'heure française avait vécu
 ! »

Ce changement se fait en douceur. « On s’est borné généralement à y voir une manifestation nouvelle de ce qu’on est convenu d’appeler “l’entente cordiale”, et cela a suffi pour qu’on l’enregistrât presque avec satisfaction. »

Quelques anomalies possibles sont toutefois notées au passage par le Courrier de Saône-et-Loire.

« Tout le monde dans le fuseau de l’Europe occidentale aura rajeuni à minuit de 9 minutes 25 secondes.

On fait observer que des enfants qui naîtraient à minuit moins 5 et mourraient à minuit de l’ancienne heure, se trouveront être morts avant d’être nés, l’heure ayant reculé et supprimé théoriquement 9 minutes 25 secondes de leur existence, c’est-à-dire plus qu’ils n’en pouvaient dépenser.

Des malades prenant une potion d'heure en heure, seront obligés d’augmenter la dose. Il y a d’autres curiosités possibles. »

Et en région ? Ceux que cela aura le moins dérangé se trouvent dans l’ouest de la France. Comme le remarque L’Avenir des Hautes-Pyrénées, le méridien de Greenwich est un voisin très proche.

« C’est fait : depuis samedi nos horloges retardent de 9 minutes 21, afin de donner désormais l'heure de Greenwich.

Nous avons établi que l'heure nouvelle était, à peu de chose près, l'heure de Bagnères. C’est, plus exactement, l'heure de Lourdes. Le méridien de Greenwich passe, dans notre département, par l’église d'Ibos, le pic du Jer (Lourdes) et la cascade de Gavarnie. »

Depuis le 1er janvier 1972, le fuseau horaire GMT est appelé UTC, pour Temps universel coordonné. Seuls la Grande-Bretagne et le Portugal sont aujourd’hui à l’heure UTC, le reste de l’Europe occidentale et centrale se servant du fuseau UTC+1.