Écho de presse

1916 : un prisonnier de guerre raconte sa captivité en Allemagne

le 28/05/2018 par Marina Bellot
le 14/11/2017 par Marina Bellot - modifié le 28/05/2018
Illustration : Prisonniers français et belges à Munsterlager près de Wesel (Allemagne), 1914, Agence Rol - Source : Gallica BnF

En février 1916, un prisonnier de guerre français tout juste évadé d'un camp allemand revient sur ses mois de captivité dans un pays de plus en plus exsangue.

Février 1916. La Grande Guerre est entrée dans sa phase de conflit total : les pays engagés mobilisent toutes leurs ressources, humaines, économiques et financières.

Alors que l'Allemagne est en passe d'acculer l'armée française en attaquant Verdun, Le Journal donne à entendre la voix d'un sous-officier récemment évadé d'un camp de prisonniers allemand.

Les autorités allemandes ont en effet mis en place un système de camps dès 1915. Comment les prisonniers de guerre y sont-ils traités ? Alors que très peu d'informations filtrent sur la réalité de ces camps, l’homme « tout maigre et tout pâle encore des souffrances endurées là-bas » raconte ses longs mois de captivité.

La nourriture d’abord, mauvaise et en quantité insuffisante :

« Voulez-vous notre menu quotidien ? Les Spartiates eux-mêmes l'eussent trouvé maigre. Écoutez : le matin, du café d'orge grillée ; à midi, une gamelle de pommes de terre et de raves au milieu desquelles disparaît un morceau de viande gros comme une boite d'allumettes ; le soir, répétition du festin de midi. Et pour toute la journée, une tranche de pain d'environ deux cents grammes [...] Seule, une faim dévorante arrive à vous faire avaler ce pain, si on ose l'appeler du pain. Et chez nous, me dit-on, tous les prisonniers allemands mangent de si bon pain blanc !
— Et comme boisson
 ? dis-je.
— De l'eau, rien que de l'eau, même pour ceux qui travaillent dans les mines.
 »

L’homme passe ensuite en revue le couchage, l’habillement et l’hygiène : 

« Nous avions trois paillasses pour cinq hommes, des paillasses où la fibre de bois remplaçait la paille, et deux couvertures pour chacun de nous. C'est supportable. Les chambres sont aérées, et tous les quinze jours nous pouvions prendre un bain-douche. »

« Vous astreignait-on à des travaux pénibles ? », demande le journaliste :

« Dans les mines, dans les usines métallurgiques, dans les fabriques, les professionnels n'auraient pas trop à souffrir, n'était que leur fatigue redouble de ce qu'ils sont mal nourris et ne boivent que de l'eau. Ils touchent bien un maigre salaire d'un mark par jour, mais ils ne peuvent rien, ou presque rien se procurer, et, s'ils ne reçoivent pas de colis de chez eux, ils ne tardent pas à dépérir.

Mais plus mauvaise encore est la situation de nos camarades qui travaillent aux champs, principalement au défrichement des terres incultes. Beaucoup n'ont jamais fait ce métier et endurent des fatigues au-dessus de leurs forces. [...]

Ils ne boivent que de l'eau, eux aussi. J’ouï-dire qu'en France les prisonniers allemands employés à des travaux pénibles avaient un quart de vin par jour. Ne pourrait-on pas exiger la réciprocité pour les Français prisonniers en Allemagne ? »

Le soldat évoque les différences de traitement subies par les prisonniers selon leur nationalité :

« Quant à la discipline, je ne vous en dirai qu'un mot : elle est uniformément sévère jusqu'à la rudesse, vis-à-vis des prisonniers anglais surtout. Les Russes, en raison des durs travaux qu'ils accomplissent avec un grand courage et une résignation touchante, commencent à être un peu mieux traités que dans les débuts. Enfin, c'est encore nous, les Français, qui bénéficions le plus souvent d'une indulgence relative. Les traits de brutalité sont rares, contraires aux ordres donnés et imputables à des individus. »

L’ancien prisonnier, qui compte plusieurs évasions à son actif, brosse le portrait d'un pays démoralisé et de plus en plus exsangue, entre pénurie de nourriture et crainte de perdre la guerre :

« À la prison très dure de R., où je fus enfermé après une de mes évasions, il n'était pas rare de voir des soldats qui nous gardaient dérober des pommes de terre à notre maigre ordinaire.
[...] Dans les premiers temps, les troupes qui repartaient se battre, après une convalescence ou une permission, braillaient à tue-tête leurs chants nationaux. Maintenant, elles ne chantent plus, sinon parfois des chansons de route. Quant à l'élément civil, sa démoralisation et sa lassitude sont encore plus marquées. [...]

Dans les champs westphaliens, mêmes symptômes de disette et de mécontentement. Les vols de légumes et de poules s'y multiplient d'une façon effrayante. On n'a presque pas semé de blé. Rien que du seigle et des pommes de terre. »

Plus de sept millions de soldats seront faits prisonniers durant la guerre, dont environ 2,5 millions par l’Allemagne.