Écho de presse

1921 : les communistes seront-ils députés ou emprisonnés ?

le 28/05/2018 par Julien Chuzeville
le 09/01/2018 par Julien Chuzeville - modifié le 28/05/2018
Fernand Loriot et Boris Souvarine, militants communistes en lice aux élections législatives pour le PC, et accusés d'un fantaisiste « complot » bolchévique, L'Excelsior, 1921 - source : RetroNews-BnF

En février 1921 s’ouvre à Paris le premier procès de militants du Parti communiste, Fernand Loriot et Boris Souvarine. Il se double d'un autre enjeu : ces derniers se présentent en même temps aux élections législatives.

Fernand Loriot et Boris Souvarine, militants révolutionnaires, sont arrêtés en mai 1920, dans le cadre de la répression d'une grève importante. Le contexte révolutionnaire dans plusieurs pays, ainsi qu’une vague de grèves sans précédent en France, donnent l’espoir aux plus radicaux d’une révolution en France… et la même crainte du côté d’une partie des conservateurs et du gouvernement.

Le 21 mai 1920, le journal Le Matin annonce par exemple que si ces militants avaient réussi, « Loriot eût été notre Lénine national ».

Pour justifier l’emprisonnement arbitraire de ces militants, le gouvernement évoque un imaginaire « complot ». En dépit du caractère fantaisiste de l’accusation, ils restent maintenus en détention préventive pendant 10 mois.

Ils sont cependant loin de rester inactifs : dirigeants du Comité de la IIIe Internationale, qui est alors la section en France de l’Internationale communiste, ils rédigent en prison la motion qui va être adoptée à une large majorité par le congrès socialiste réuni à Tours en décembre 1920. Le « Parti socialiste – Section française de l’Internationale ouvrière » (SFIO) devient ainsi le « Parti socialiste – Section française de l’Internationale communiste » (SFIC), puis quelques mois plus tard « Parti communiste – Section française de l’Internationale communiste ».

Loriot et Souvarine, bien qu’emprisonnés, sont élus à la direction de la SFIC.

Le premier tour des élections législatives partielles du deuxième secteur de Paris se déroule le 27 février 1921. Le quotidien L’Humanité fait logiquement campagne pour ses candidats, et titre le jour du scrutin : « Voter pour Loriot et Souvarine, c’est voter pour le communisme, l’amnistie et la paix ! »

La presse conservatrice appuie les candidats de droite, appelant à battre les socialistes et communistes en employant des arguments souvent caricaturaux.

Par exemple, L’Écho de Paris écrit le 26 février :

« Il faut barrer la route aux socialistes qui, sous des formules et des étiquettes diverses, poursuivent le même but et vont aux mêmes fins : la révolution par le désordre et la violence.

Qu’ils soient majoritaires, qu’ils se disent indépendants ou qu’ils s’affichent communistes, leurs candidats au fond, ne représentent qu’un seul parti : celui du chambardement social. […]

S’abstenir serait plus qu’une faute, une véritable désertion devant l’ennemi. »

En dépit de cette campagne de presse alarmiste, Loriot et Souvarine, candidats des « socialistes-communistes », obtiennent 29 % des suffrages, résultat très important qui leur permet de passer au deuxième tour. Leur élection devenant désormais une possibilité sérieuse, l’enjeu devient donc une question politique majeure.

Leur procès s’ouvre le 28 février, le lendemain même de ce premier tour de scrutin. De nombreux journaux publient en première page des photos des accusés, signe que le sujet est au cœur des préoccupations.

Comment présenter les accusés aux lecteurs ? La presse conservatrice donne ouvertement dans le registre de la xénophobie : Le Figaro du 2 mars 1921 parle ainsi de « Souvarine, avec son inquiétant visage d’Oriental du type sémite ».

D’autres, comme Le Petit Parisien, sont plutôt étonnés de leur façon de s’exprimer : Loriot répond aux questions « sur le ton académique et le plus policé », Souvarine parle « avec modération, réserve et tranquillité », Monatte est « parfaitement policé, extrêmement modeste ».

Dans Le Populaire, le journal des socialistes qui se sont séparés des communistes quelques semaines plus tôt, Robert-Georges Réau souligne le manque de sérieux de l’accusation et prévoit l’acquittement.

Les déclarations des accusés sont reproduites par de nombreux journaux, mais les différents journalistes n’ont pas toujours noté la même chose.

Accusés du fait de leurs opinions politiques, ils en viennent logiquement à faire des cours de marxisme : ainsi Loriot explique vouloir « organiser l’action du prolétariat, mais du prolétariat tout entier et non d’une minorité audacieuse. En un mot, c’est la pure conception marxiste. »

Au cours des audiences, les accusés sont très actifs : ils soulignent les erreurs factuelles de l’accusation, et surtout l’absence – et pour cause – de toute preuve d’un complot. Les affaires de l’accusation ne s’arrangent pas lorsque la défense lit une lettre de soutien aux accusés écrite par l’écrivain Anatole France, alors au faîte de sa popularité – c’est précisément en 1921 que le prix Nobel de littérature lui est décerné :

« Messieurs les jurés,

Vous êtes appelés à vous prononcer sur des hommes d’une noble intelligence, d’un ferme caractère, d’un entier désintéressement, droits, généreux, à qui leurs accusateurs ne reprochent que des pensées et qui sont sur ces bancs, nul ne le nie, uniquement pour avoir usé du droit sacré d’exprimer leur sentiment dans des questions qui ne peuvent être étrangères à nul homme de cœur, puisque le sort de l’humanité tout entière en dépend.

Ah ! Messieurs, ne vous demandez pas si leur solution est la bonne. L’avenir seul le dira. Mais dans le trouble universel des esprits, tant de solutions, qui avaient prévalu, sont déjà condamnées ! […]

Mais il n’est pas humainement possible de les condamner. Les condamner… ce serait condamner le droit de penser et d’écrire, la liberté d’opinion qui fait la dignité de l’homme.

Anatole France. »

Romain Rolland, qui a obtenu le Nobel de littérature en 1915, a lui aussi envoyé une lettre de soutien, faisant notamment l’éloge du « grand citoyen » Monatte. Et l’écrivain de conclure : « Veut-on mettre fin aux révoltes ? Il n’est qu’un seul moyen : mettre fin aux injustices. »

Le lendemain, c’est au tour de l’écrivain Henri Barbusse d’apporter son soutien aux accusés, cette fois en personne, en plaidant à la barre en faveur du « communisme international » – il adhérera d’ailleurs au PC deux ans plus tard.

La campagne décisive du second tour se déroule en même temps que le procès. Le 9 mars, le quotidien de centre-gauche Le Rappel remarque que « cette élection du 2e secteur de la Seine met les urnes à l’endroit et les cervelles à l’envers. […] On dit même que le communisme est à nos portes. »

Le 11 mars, Le Journal donne la parole au député de droite Louis Rollin, qui appelle à faire barrage aux communistes, « dont les bras sont déjà ouverts pour la fraternité allemande ». Alors que la guerre mondiale et sa xénophobie germanophobe est encore présente dans les esprits, l’argument peut avoir du poids.

Le 12 mars, l’avocat général prononce son réquisitoire, dont le résumé paraît donc dans les journaux du 13, soit le jour même du scrutin. Ses attaques contre les accusés dépassent largement le cadre judiciaire, ainsi quand il affirme qu’ils « sont de mauvais Français : ils n’ont pas de patrie ! Ils poursuivent une entreprise de révolution mondiale ! »

Le second tour du scrutin donne finalement 45 % des voix à Loriot et Souvarine, qui ne sont donc pas élus. Ils peuvent être cependant satisfaits de leur score important. La presse conservatrice, comme Le Journal, salue de son côté la victoire du « parti de l’ordre ».

Le lendemain de ce dénouement électoral, le procès se poursuit et c’est au tour des avocats de la défense de s’exprimer – leurs arguments arrivent donc trop tard pour influer sur le vote. Pendant trois jours les plaidoiries des avocats se succèdent, à la fois factuelles et politiques – plusieurs d’entre eux étant aussi militants communistes, notamment Antonio Coen et Maurice Paz.

Le 17 mars, tous les accusés sont acquittés et libérés. Le 18 mars, L’Humanité peut donc annoncer triomphalement l’acquittement général :

Libérés, les ex-accusés vont continuer à militer pour une révolution mondiale, qui ne viendra pas.

Opposants au sein du Parti communiste à partir de 1924, Souvarine, Monatte et Loriot seront rapidement exclus ou poussés à la démission. Ils militeront ensuite à l’extrême gauche, écrivant notamment dans la revue La Révolution prolétarienne, et compteront parmi les précurseurs de l’anti-stalinisme et de la dénonciation de la situation réelle en U.R.S.S.

Leur célébrité éphémère liée à leur procès et à leur candidature avait alors été en grande partie oubliée.

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Julien Chuzeville, né en 1979, est historien du mouvement ouvrier. Il vient de publier Un court moment révolutionnaire, aux éditions Libertalia.