Écho de presse

1934 : le mystérieux incendie du Morro-Castle

le 28/05/2018 par Mathilde Helleu
le 03/04/2018 par Mathilde Helleu - modifié le 28/05/2018
Photos de la catastrophe du Morro-Castle publiées dans Paris-Soir le 16 septembre 1934 - source : RetroNews-BnF

En 1934, plus de 130 personnes perdent la vie dans le spectaculaire incendie d’un paquebot au large du New Jersey. Les causes du drame demeurent énigmatiques.

Le 8 septembre 1934, le paquebot Morro-Castle effectuant la liaison entre La Havane et New York prend feu en pleine nuit. À son bord, cinq cents personnes environ, pour la plupart des touristes venus profiter de la liberté permise par le large.

En ces temps de Prohibition, en effet, il n’est pas rare que des croisières soient organisées pour permettre à ceux qui en ont les moyens de boire de l’alcool. Ces transports vers nulle part ont d’ailleurs un surnom : les booze cruises.

À bord, l’incendie progresse si rapidement que lorsque résonnent les premiers signaux d’alarme, les coursives centrales sont déjà dévorées par les flammes. De nombreux passagers se retrouvent prisonniers de leur cabine ou contraints de briser les hublots trop étroits pour tenter de sortir.

« Des scènes déchirantes se déroulèrent alors car il était impossible pour les sauveteurs d'atteindre les cabines extérieures et les malheureux, passant la tête aux hublots trop étroits pour qu'ils puissent sauter à l’eau, hurlaient de terreur et de souffrance.

Quelques-uns réussirent à sauter à la mer mais fort peu parvinrent à gagner les embarcations. »

Plusieurs navires présents à proximité répondent au S.O.S., mais le vent et la pluie rendent les opérations de sauvetage extrêmement difficiles et de nombreuses victimes sont à déplorer.

Le lendemain, le paquebot vient s’échouer sur la côte, et la silhouette fumante du bâtiment calciné attire les foules, donnant lieu à une spéculation qui en choque plus d’un. « La ville fait payer cinq dollars aux photographes et aux journalistes pour leur admission à bord », s’indigne Paris-Soir. Sur le rivage, « chevaux de bois et boutiques foraines sont venus s’installer » près de cette « macabre kermesse » pendant que la mer continue de rejeter des vagues de cadavres et de rescapés.

Le public se prend de passion pour les détails sordides et récits héroïques de l’incendie :

« On signale plusieurs cas de sauvetage presque miraculeux : deux femmes réussirent à gagner à la nage la côte distante de 13 kilomètres.

Un homme et une femme qui s’étaient accrochés à une seule ceinture de sauvetage restèrent dans l’eau pendant six heures avant d’atteindre la côte. »

On salue le courage de George Rogers, « l’héroïque opérateur de T.S.F. qui, environné de flammes, ne cessa, jusqu’à la dernière minute, de passer des messages demandant du secours ».

Dans les premiers articles, on affirme que l’incendie est dû à la foudre et que « l’idée d’un acte de malveillance doit être écartée ». Mais bientôt, des rumeurs étranges et contradictoires jettent le doute dans les esprits.


Photos de la catastrophe du Morro-Castle publiées dans Paris-Soir, 16 septembre 1934 - source : RetroNews-BnF

Premier fait troublant : quelques heures avant le sinistre, le capitaine Willmott, commandant du paquebot, s’était plaint de douleurs et « avait succombé à une attaque cardiaque […]. Il était remplacé par le second W.-F. Warms ». Cette coïncidence soulève bien sûr des questions, auxquelles il est d’autant plus difficile de répondre que le « médecin du bord se trouve parmi les morts ». Plusieurs membres de l’équipage expriment l’opinion « que le commandant [a] été empoisonné ».

« Le capitaine Warms, qui prit le commandement du bâtiment après la mort du capitaine Willmot, déclara qu'il avait trouvé ce dernier mort dans son bain. Il ajouta qu'apparemment, “le feu avait pris naissance dans la salle réservée à la bibliothèque du bord”. »

Une enquête est ouverte, où l’on tente de reconstruire la chronologie des faits. Mais ce qui semble importer surtout, c’est de trouver des coupables. On blâme, qui le « nombre excessif de marins étrangers », qui « le contreplaqué du fumoir, les tapis de la salle de jeu, […] tout ce qui fait le décor cosmopolite des grands hôtels et des palaces flottants ».

Pour de nombreuses publications, signe des temps, il s’agit d’une mutinerie « de dockers mécontents poussés par des meneurs communistes ». Le quotidien du parti en France, L’Humanité, riposte en dénonçant les orgies à bord et les « “imprudences” criminelles des riches passagers » de fait, il semble que le soir du drame aient eu lieu des réjouissances bien arrosées.

Certains, enfin, accusent vertement les officiers et l’équipage, « cherchant leur salut dans les canots de sauvetage et laissant les passagers, hommes, femmes et enfants, à la merci du feu dévorant et de l’eau ».

« La commission a entendu des premiers témoins, parmi les passagers, le récit dramatique des scènes d’horreur qui se produisirent lorsqu’ils furent chassés de leurs cabines par la fumée ou les appels des stewards.

Leurs dépositions indiquent que le désordre régna dès que le feu se développa, les officiers courant de tous côtés, sans ordres, et l’équipage se jetant dans les canots en laissant les passagers derrière eux dans un brasier infernal.

Le chef mécanicien a déclaré qu’il n'est pas descendu dans la salle des machines et n’a pas vérifié le fonctionnement des pompes à incendie. Les officiers ont reconnu que l’équipage ne reçut pas d’ordres […]. »

Dans sa déposition, le capitaine Warms défend ses hommes. Selon lui, toutes les dispositions ont été prises pour sauver les passagers, dont plusieurs, affirme-t-il, « refusèrent de quitter leur cabine. Un certain nombre, dont six jeunes filles, étaient tellement ivres qu’il avait fallu, quelques heures avant la catastrophe, les [y] transporter ».

Il révèle qu’un incendie s’était déjà déclaré lors du voyage aller et qu’une flaque d’essence avait été découverte dans la bibliothèque. Pour lui, cela ne fait aucun doute : il s’agit de l’œuvre d’un incendiaire.

Un témoignage fait particulièrement sensation : celui de l’opérateur de T.S.F., George Rogers. Cet « homme sincère et courageux » possédant « une physionomie ouverte qui respire une grande intelligence » confesse que son second, M. Alagna, était l’objet d’une lettre de licenciement qui devait prendre effet à New York.

« Rogers fut alors interrogé sur son adjoint Alagna, qui fut arrêté hier et maintenu en prison faute de pouvoir payer une caution de 4 000 dollars. Le chef radio finit par reconnaître que le commandant Willmott n'aimait guère Alagna et qu'il avait donné l'ordre de le surveiller de près, car il le croyait capable de causer de l'agitation parmi l'équipage.

– Toutefois, Alagna fit tout son devoir, assura son chef, et quitta le bord parmi les derniers. »

Dépeint comme un agitateur cherchant « toujours à se venger de manière dangereuse des gens qu’il considère comme lui ayant porté tort », Alagna sera brièvement incarcéré.

L’enquête peine à faire toute la lumière sur les faits, en raison notamment de nombreux témoignages contradictoires. La commission finit par rendre son jugement :

« Le rapport condamne en termes énergiques le capitaine Warms et ses subordonnés pour avoir omis d'envoyer à temps un message S.O.S., pour n'avoir pris aucune des mesures élémentaires en cas d'incendie, c'est-à-dire, entre autres précautions, la fermeture des cloisons et portes étanches, l'ouverture des bouches à incendie, la distribution égale de l'équipage sur tout le navire afin qu'il puisse porter secours aux passagers.

Enfin, la commission réprouve le départ d'une partie des officiers et des matelots dans les canots du bord sans qu'ils aient même tenté de secourir les passagers réfugiés à l'arrière du bâtiment incendié. »

Le capitaine et le mécanicien en chef écopent de peines de prison pour négligence criminelle.

L’histoire aurait pu s’arrêter là si l’un des protagonistes ne s’était retrouvé de nouveau sous les feux des projecteurs. En effet, George Rogers, « l’héroïque opérateur de TSF » est condamné quelques années plus tard pour avoir tenté d’assassiner son supérieur, le lieutenant Vincent Doyle, à l’aide d’un engin explosif. Ce dernier suspectait apparemment Rogers d’être responsable de l’incendie du Morro-Castle.

On lui découvre, à la faveur de l’enquête, un passé émaillé de violences et de départs de feu suspects.

En 1953, Rogers est de nouveau condamné, cette fois pour un double meurtre particulièrement sanglant.

Il décède peu après en détention, emportant avec lui les dernières chances de faire toute la lumière sur l’incendie du Morro-Castle.