Écho de presse

La Grande Famine d'Irlande

le 29/05/2018 par Pierre Ancery
le 29/06/2017 par Pierre Ancery - modifié le 29/05/2018
Carte d'Irlande ; 1839 - source Gallica BnF

En 1846, alors que la faim et la misère règnent en Irlande, un article du « Temps » prend fait et cause pour les victimes de l'impérialisme britannique.

Les années 1845 à 1852 furent pour l'Irlande une des périodes les plus terribles de son histoire. Colonisé depuis des siècles par l'Angleterre, le pays survit tant bien que mal, durant la première moitié du XIXe siècle, grâce à la culture de la pomme de terre. La plupart des paysans ne sont pas propriétaires de leurs terres, mais doivent payer un loyer à un landlord britannique.

 

Mais l'apparition sur l'île, en 1845, du mildiou, un parasite venu du continent, anéantit une grande part de la production de pommes de terre. C'est le début d'une longue pénurie alimentaire à grande échelle, touchant d'abord les plus démunis, une catastrophe qu'on appellera plus tard la Grande Famine. Le 29 juin 1846, à l'occasion de la parution d'un Tour en Irlande écrit par un certain Joseph Prévost, Le Temps, sous la plume d'O. Devallée, dénonce les malheurs qui s'abattent sur l'île.

 

"Comme ailleurs le bien-être augmente, en ce pays la misère pullule. Aussi partez de France ou d'Italie, allez en Irlande, l'esprit tourné vers les rêves et la poésie ; une fois débarqué, cherchez depuis Londonderry jusqu'à Cork, depuis Dublin jusqu'à Galway, les pieuses et les romanesques légendes dont la terre et les eaux sont pleines, essayez de vous endormir comme à Naples et comme à Séville, dans les joies indolentes du touriste et du poète ; vous ne le pourrez pas. […] Que vaut, je vous le demande, le plus beau des paysages […] à côté du spectacle affreux de tant de milliers d'êtres humains qui souffrent et meurent de misère ?"

 

 

Pendant la Grande Famine, plus d'un millions d'Irlandais meurent et un autre million émigrent, notamment au Canada et aux États-Unis. Alors que la population est affamée, les ports restent ouverts : sous la pression des négociants anglais, l'Irlande continue d'exporter de la nourriture appartenant aux landlords. Certains paysans qui ne peuvent plus payer le loyer sont même expulsés, les Britanniques profitant de la situation pour gagner des terres supplémentaires.

 

L'article du Temps accuse directement les Anglais :

 

"Cependant l'Angleterre se fait appeler le pays le plus civilisé du monde : elle a donné le signal de l'abolition de l'esclavage, et là, tout près d'elle, non à ses pieds, mais dans son sein, car l'Irlande lui est unie, il y a des malheureux qui ont pour asile une caverne obscure, longue de huit pieds sur quatre de large, creusée dans un banc de tourbe sèche |...]. Là une femme est accroupie avec huit enfants […] ; parmi les enfants, les plus grands seuls ont des vêtements, les autres sont nus."

 

Et de revenir sur la longue histoire de l'oppression de l'Irlande (catholique) par l'Angleterre (protestante) :

 

"Rien n'égale en ce monde la tyrannie de la foi religieuse quand, ne pouvant entrer dans les âmes par la parole et l'exemple, elle y veut pénétrer par la force. — Catholique, protestante, éclairée ou barbare, peu importe ! Animée du même esprit, elle dresse les mêmes bûchers. Mais si de toutes les puissances c'est celle qui sème les plus nombreuses et les plus sanglantes rigueurs, c'est celle qui fait les moindres récoltes. Aussi, pendant que le protestantisme anglais se faisait bourreau afin d'étouffer en Irlande le culte catholique, il perdait à la fois son temps et son honneur : la religion persécutée grandissait sous le martyre ; on refoulait les catholiques dans la province de Connaught, leur interdisant d'habiter ailleurs : il en naissait partout. C'est ce qui doit arriver dans ces luttes entre la force impatiente et brutale, et la foi qui sait attendre et souffrir. Si quelquefois on change le cœur d'un peuple par la corruption, on n'y réussit guère par la violence."

 

Au total, la Grande Famine causa entre 500 000 et 1 million de morts.