Écho de presse

"L'abominable vénalité de la presse française"

le 13/07/2018 par Marina Bellot
le 03/11/2016 par Marina Bellot - modifié le 13/07/2018
Humanité - 6 décembre 1923

Ou quand L'Humanité dénonce un vaste scandale de corruption des médias.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le grand public découvre qu'une partie de la presse française a reçu des fonds russes de 1897 à 1917 en échange d'articles vantant le placement en France des emprunts russes au début du XXe siècle. 

C'est par L'Humanité que le scandale éclate : du 5 décembre 1923 au 30 mars 1924, le quotidien publie des lettres et rapports d'Arthur Raffalovitch, représentant du ministère des finances russes à Paris.

"Les documents extraordinaires que nous allons publier sont tirés des archives gouvernementales russes, qui en contiennent d'ailleurs encore, bien d'autres. Nous mettons quelque incrédule que ce soit au défi d'en contester l'authenticité. Nous publierons s'il le faut la photographie des pièces essentielles."

Les documents mettent au jour un véritable système de corruption, auquel certains journaux prennent activement part en se livrant à un chantage sans vergogne. « Le gouvernement du tsar avait pas mal de choses à se reprocher. C'est pourquoi il capitulait facilement devant les journaux qui le faisaient chanter. C'est pourquoi il était obligé d'acheter le silence ou l'approbation de certains journalistes en vue », commente L'Humanité qui publie notamment une lettre de Raffalovitch on ne peut plus claire : 

"Monsieur le Ministre, il paraît que notre ministre des Affaires étrangères n'a pas été heureux de l'attitude de quelques journaux à son égard et notamment du Figaro. Je ne sais pas les motifs qui inspirent Le Figaro. Est-ce mécontentement de n'être pas suffisamment courtisé par les Russes ? Le Figaro ce matin est à nouveau dur. À quelle cause cela tient-il ? La rancune d'un journaliste ayant des positions à la hausse et surpris par la baisse des attaches avec des pays peu favorables à la Russie ? En tous cas, l'agent du ministère des Finances doit se tenir tranquille, CAR S'IL SE MONTRE, CELA COUTERA CHER."

Le lendemain, c'est le sénateur Henry Bérenger qui est mis en cause, le surlendemain le journal Le Matin... 

L'enquête établira qu'Arthur Raffalovitch a distribué au total 6,5 millions de francs de manière à assurer le succès du placement des emprunts russes dans le grand public. Des journaux d'opposition de gauche, comme L'Événement, La Lanterne, Le Rappel, ou encore Le Radical sont impliqués. 

Le scandale débouchera sur l'adoption par le parlement d'un statut de journaliste professionnel encadrant la pratique du métier.