Écho de presse

L'assassinat de Gaston Calmette, directeur du Figaro

le 28/05/2018 par Marina Bellot
le 30/10/2017 par Marina Bellot - modifié le 28/05/2018
Le Petit Journal supplément illustré du 29 mars 1914 - Source : RetroNews BnF

Le 16 mars 1914, le directeur du Figaro est assassiné par la femme du ministre des Finances de l'époque, Joseph Caillaux, qui vient de subir une violente campagne de presse. L'émoi est considérable.

16 mars 1914. Alors que le soir tombe sur Paris, une nouvelle sidérante se répand dans la capitale : le directeur du Figaro, Gaston Calmette, vient d'être assassiné dans son bureau. Le meurtre a été commis par Henriette Caillaux, épouse du ministre des Finances Joseph Caillaux, l'homme politique le plus exposé du moment.

Ministre des Finances depuis décembre 1913, Joseph Caillaux est pressenti pour prendre la tête du gouvernement à l'issue des élections législatives de mai 1914. En pleine ascension politique, l'homme dérange. Pacifiste, promoteur dès 1907 d'une loi sur l'impôt sur le revenu progressif alors qu'il était ministre des Finances de Clemenceau (voir notre article), il se démène pour faire voter sa loi par la Haute Assemblée. Le débat sur la légitimité de cet impôt déchaîne les passions. Caillaux devient l'homme à abattre.

En 1914, plusieurs quotidiens de droite dont Le Figaro mènent une violente campagne de presse contre sa politique, cherchant à le décrédibiliser par tous les moyens — en mars 1914, le seul Figaro a publié pas moins de cent dix articles contre lui. Gaston Calmette, le directeur du quotidien depuis 12 ans, prend la tête de cette campagne de presse. Il publie notamment des échanges de Joseph Caillaux avec celle qui n'était encore que sa maîtresse et deviendra plus tard sa femme, Henriette. Dans ces lettres signées « Ton Jo », Caillaux apparaît comme un homme politique hypocrite.

Gaston Calmette utilise également l'affaire politico-financière Rochette pour tenter de mettre fin à la carrière politique de Caillaux, l'accusant de trafic d'influence, de détournement de fonds publics au profit de son parti politique et de pressions sur des établissements financiers (voir nos articles sur l'affaire Rochette ici et là). Le 13 mars 1914, le quotidien annonce en une détenir « la preuve des machinations secrètes de M. Caillaux ». Gaston Calmette conclut :

« Il est démasqué. Ce malheur public est dénoncé. [...] Ma tâche est accomplie. Balayez ! Allez-y ! »

Le 16 mars, jour du meurtre, Le Figaro a publié une nouvelle lettre personnelle de Caillaux, avec ce commentaire de Calmette :

« L'estampille de "Jo" est devenue compromettante : et nul ne voudra, dans quelques jours, demeurer publiquement le candidat de "Jo" dans ce pays de clarté, de franchise et de loyauté. »

Excédée par cette campagne, Henriette Caillaux se rend à la rédaction du journal et tire à bout portant sur Gaston Calmette.

Le Journal décrit la scène :

 « Pendant que M. Calmette déposait son chapeau et sa canne sur un meuble, à droite du bureau, la tragique visiteuse tirait sur lui deux fois, presque à bout portant. Le directeur du Figaro, surpris, contourna alors son bureau, cherchant à se réfugier vers la gauche de la pièce. Mme Caillaux le poursuivit, continuant à tirer. Un troisième projectile a été retrouvé sur le tapis, entre la bibliothèque et le bureau. Les autres sont restés dans le corps de la victime. »

Le lendemain de la mort de Calmette, la rédaction du Figaro sous le choc rend hommage à son directeur, qu'elle défend de toute intention malveillante :

« Ne faire de mal à personne, c'était son beau scrupule. Et quand la défense des idées l'obligeait à l'attaque des hommes, il en soupirait amèrement. Il sacrifiait alors au bien public son admirable indulgence et la douceur de son caractère : il le faisait avec une élégante crânerie. »

« Drame », « tragédie », « crime atroce »... La presse française, de quelque bord politique qu'elle soit, s'accorde à condamner l'assassinat de Calmette, brossant le portrait d'un homme intègre et généreux. La Croix écrit ainsi :

« Nul ne semblait moins désigné que lui pour mourir de mort violente à la suite de ses écrits. Doux, aimable, conciliant, d’une indulgence confinant à la générosité, il était aimé de tous ceux qui l’approchaient comme de tous ses collaborateurs dont la douleur est inénarrable, et de tous ses confrères de la presse, qu’il prenait soin de ne jamais blesser. Et le moins qu’on puisse dire de ses adversaires, c’est que tous professaient pour lui la plus haute estime. »

Même émotion dans les pages du Journal :

« En mourant à la terre d'une façon si prématurée, si tragique et, pour dire le vrai, si atroce, Gaston Calmette semble n'avoir pas rempli son destin : il était resté si jeune, si actif, si empli de volonté et de bonne volonté, de courage souriant ! Ses amis — et ils sont légion — n'ont qu'une phrase, qu'un mot, dans leurs larmes :
— C'est le premier chagrin qu'il nous cause.
 »

Pour certains, comme le quotidien nationaliste L’Action française, il ne fait aucun doute que Joseph Caillaux et ses soutiens ont commandité le meurtre commis par Henriette Caillaux :

« Parce que c'est à la main d'une femme qu'ils ont lâchement confié leur vengeance ; ils essaieront peut-être de donner le change en prétendant que cette femme avait à défendre son honneur. Rien n'est plus faux. »

Arrêtée, Henriette Caillaux est inculpée de meurtre avec préméditation. Au terme d'un procès abondamment relayé par la presse, elle sera acquittée par le jury d'assises en juillet 1914, les psychiatres évoquant un « cas typique d'impulsion subconsciente avec dédoublement complet de personnalité survenu sous l'influence d'un état émotionnel et continu. »