Écho de presse

L'ogresse de la Goutte-d'Or, tueuse d'enfants

le 28/05/2018 par Pierre Ancery
le 26/03/2018 par Pierre Ancery - modifié le 28/05/2018
La meurtrière Jeanne Weber en une du Petit Journal, supplément du dimanche, 24 mai 1908 - source : RetroNews-BnF

En pleine Belle Époque, la domestique bretonne Jeanne Weber étrangla dix enfants, dont les siens. Ses crimes horrifièrent le public et enchantèrent la presse.

« L'Ogresse de la Goutte-d'Or » : un surnom terrifiant, à la mesure de l'horreur qu'inspirèrent les crimes incompréhensibles de Jeanne Weber lorsqu'ils furent révélés. La jeune femme étrangla en effet dix enfants, dont les siens.

 

Son destin, au départ, est pourtant banal. Jeanne Moulinet, née en 1874 en Bretagne, dans un petit village de pêcheurs (Kérity), part pour Paris à l'âge de quatorze ans. Elle s'y marie avec Jean Weber, un camionneur, en 1893. Le couple s'installe au 38, rue Pujol, dans le quartier de la Goutte-d'Or (18e arrondissement). Ils ont trois enfants : le premier, une petite fille, meurt à la naissance. Les deux autres sont retrouvés morts en bas âge, sans raison apparente.

 

La suite, horrible, est amplement relatée par la presse, à l'instar du Petit Journal du 29 janvier 1906 qui raconte les faits survenus l'année précédente :

 

« Le 2 mars, elle venait déjeuner chez les époux Pierre Weber, qui avaient deux enfants, Georgette et Suzanne. Après le repas, Mme Pierre Weber allant au lavoir, l'accusée offrit de garder la jeune Georgette, âgée de dix-huit mois, que sa mère ne pouvait emmener avec elle.

 

Une demi-heure après, on venait en hâte chercher Mme Pierre Weber : sa jeune Georgette, l'enfant qu'elle avait laissée en bonne santé, était à l'agonie. La mère infortunée trouvait sa fille suffoquant, les yeux révulsés, la langue sortant de la bouche, l'écume au coin des lèvres. Jeanne Weber tenait toujours l'enfant sur ses genoux, elle l'enlaçait étroitement [...]. La mère réussit enfin à reprendre sa fille, qui aussitôt délivrée commença à respirer librement.

 

Tu peux maintenant retourner au lavoir, lui dit Jeanne Weber, quand tu reviendras ton enfant sera guérie.

 

Quand elle revint, elle ne trouva plus qu'un cadavre. »

 

Le médecin ne remarque pas les contusions sur le cou de l'enfant mort et Jeanne n'est pas inquiétée. Le 25 mars, elle garde sa nièce Germaine, âgée de sept ans. Laissée seule avec sa tante, elle est mystérieusement atteinte de « convulsions subites ».

 

L'enfant survit. Mais lorsque le 5 avril, la scène se reproduit avec le petit Maurice, neveu de Jeanne, une plainte est déposée. Le procès de la Bretonne, très médiatique, commence le 29 janvier 1906 : surnommée « l'Ogresse de la Goutte-d'Or », elle est accusée de huit meurtres... avant d'être acquittée, les médecins concluant à des morts naturelles.

 

Commence dans la presse une campagne de réhabilitation pour Jeanne Weber, perçue comme une victime, La République française écrivant par exemple :

 

« On n'a sans doute pas encore tout à fait oublié le retentissant procès de “l'Ogresse” Jeanne Weber, la soi-disant tueuse d'enfants, qui, traînée devant les assises, sur de simples racontars et d'absurdes suppositions, vit le ministère public abandonner l'accusation devant le défaut absolu de preuves [...].

 

Eh bien ! la science [...] estime qu'il est au contraire très naturel de voir plusieurs enfants de la même famille mourir de façon semblable, tout bonnement parce que ces enfants ont tous la même tare. »

 

Le 31 décembre, la presse annonce que Jeanne Weber, injustement persécutée et se trouvant « sans argent, sans ami », s'est jetée dans la Seine. Mais l'information est fausse. La meurtrière, pour échapper à sa triste célébrité, s'est installée dans l'Indre, où le jeune fils d'un agriculteur est bientôt retrouvé mort.

 

Elle se rend ensuite dans l'Eure, où elle change de nom pour « Marie Lemoine » et se fait embaucher comme... garde d'enfants. Le scénario se répète : un nouveau petit garçon meurt dans ses bras. Elle avoue ses crimes, mais la police se refuse à ouvrir l'enquête et la fait interner. Libérée, elle retourne à Paris, se prostitue, se trouve un nouveau conjoint, et récidive à l'auberge de Commercy, tenue par un certain Marcel Poirot.

 

Ce dernier crime fait la une de tous les journaux.

 

« Horribles détails », promet le journal La Presse le 10 mai 1908 :

 

« C'est alors qu'elle pria M. Poirot de partager le lit de son petit garçon, âgé de six ans. Le logeur, ignorant probablement le passé de sa locataire, accéda à son désir. Jeanne Weber monta dans la chambre de l'enfant. Il était neuf heures.

 

Tout à coup, vers dix heures, M. Poirot entendit des gémissements semblant provenir de la chambre de son enfant. Il s'y rendit en toute hâte, et il y trouva le pauvre petit étendu sur le lit, la figure tuméfiée et les yeux révulsés. Il était mort !

 

À côté de lui, se trouvait, inconsciente et prostrée, Jeanne Weber. M. Godard, commissaire de police, aussitôt prévenu, fit les premières constatations et procéda à l'arrestation de Jeanne Weber.

 

L'ogresse de la Goutte-d'Or ne contesta pas son identité, mais elle déclara ne se souvenir de rien. »

 

Jeanne, cette fois, n'échappe pas à la justice. Elle est enfin déclarée coupable d'une dizaine d'infanticides. Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire rapporte des propos supposés de la criminelle, glanés auprès d'une de ses anciennes amies :

 

« Depuis que j’ai perdu ma petite Marguerite, je ne puis plus voir les enfants des autres : j’ai envie d’en étouffer dans mes bras ; cela me ferait du bien, cela me calmerait. Je ne peux plus voir les enfants vivants, mais j’ai du bonheur à les voir morts. »

 

La presse dénonce l'aveuglement des médecins qui l'ont jadis jugée innocente et la déclarent maintenant « érotomane et hystérique ». Lorsqu'on l'emmène à la prison Saint-Michel, la foule la poursuit en criant vengeance.

 

Déclarée folle, Jeanne Weber sera internée dans divers asiles. Elle mourra dans l'un d'eux, d'une crise de néphrite, le 5 juillet 1918.