Écho de presse

« M le Maudit », naissance du polar moderne

le 28/05/2018 par Pierre Ancery
le 02/02/2018 par Pierre Ancery - modifié le 28/05/2018
Peter Lorre dans "M le maudit", L'Intransigeant, 16 avril 1932, source RetroNews BnF

Inspiré de l'affaire du vampire de Düsseldorf, le chef-d’œuvre de Fritz Lang sort en France en 1932. Sa mise en scène et l'audace de son sujet séduisent aussitôt les critiques.

Aujourd'hui considéré comme un chef-d’œuvre, M le Maudit est le premier film parlant du réalisateur allemand Fritz Lang. C'est aussi le premier polar moderne de l'histoire du cinéma. L'intrigue est inspirée des crimes du célèbre vampire de Düsseldorf [voir notre article] qui défraya la chronique peu de temps auparavant.

 

Peter Lorre y incarne un terrifiant meurtrier d'enfants dont chaque apparition est rythmée par le sifflement de l'air Le Roi sous la montagne – Fritz Lang inventant ainsi le leitmotiv, une idée de génie qui sera reprise des centaines de fois par la suite.

 

Lorsque le film sort sur les écrans français, en 1932, la critique est bluffée. Paris-Soir souligne la qualité de la mise en scène :

 

« Fritz Lang a composé sur ce thème des scènes hallucinantes, mais dont la photographie est impeccable. Principaux interprètes et figurants ont été choisis avec un rare souci de vérité, mais le côté un peu trouble du film ne plaira pas à tous les esprits. »

 

Tout comme Le Matin :

 

« M. Fritz Lang nous donne, avec “Le Maudit”, un film d'une puissance remarquable. On retrouve là son art si curieux et d'une vie intense. Dans ces images parlantes, il y a la même science des ombres et des lumières, les mêmes oppositions expressives. C'est une œuvre qui produit sur le public une forte impression. »

 

Et Le Petit Parisien, qui admire l'économie d'effets du film, pourtant oppressant du début jusqu'à la fin :

 

« La rhétorique de ce virtuose est aussi souple que diverse. Nulle lourdeur. Il suggère, n'appuie jamais, laisse parler les images : et, par la grâce de raccourcis saisissants, d'oppositions imprévues, d'euphémismes pleins de suc, il atteint à cette puissance que d'autres réclament à la brutalité.

 

M. Fritz Lang nous prouve, une fois de plus, qu'il n'est qu'une façon d'écrire, tant avec la plume qu'avec l'objectif. Et quelle démonstration des richesses de l'art cinématographique ! »

 

Un avis partagé par le journal monarchiste et germanophobe L'Action française, qui trouve M le Maudit bien meilleur que Metropolis, autre film de Fritz Lang [voir notre article] :

 

« Les amateurs d'atrocités seront heureusement déçus, et ceux qui savent voir le cinéma comblés, non pas d'effroi, mais de vigoureuses peintures. Fritz Lang est un grand plasticien […].

 

Il n'a pas à sacrifier dans le Maudit au gigantisme, excroissance moderne et prussienne d'origine de l'esthétique allemande qui, du seul point de vue visuel, greva de beaucoup d'emphase et de quelques ridicules sa Metropolis. »

 

D'autres critiques relèvent l'audace de Fritz Lang pour avoir traité, en le suggérant habilement, d'un sujet tabou : la pédophilie. Ainsi Le Figaro :

 

« Fritz Lang a fait là œuvre courageuse : la censure l'a compris et je l'en félicite. Il aura fait œuvre utile si les parents arrivent à concevoir que les roues d'auto et la rougeole ne sont pas les seuls dangers qui menacent leurs petits cependant qu'ils courent les rues. »

 

Le réalisateur allemand, interviewé dans Le Matin, le confirme : il a voulu faire un film préventif, destiné à alerter le public sur les dangers que font courir les pédophiles aux enfants.

 

« Dans chaque pays apparaissent ces monstres qui sont la terreur des mères. Il y a plus de quarante ans, il y eut, en Angleterre, Jack the Ripper. D'autres avant lui et après […].

 

Ce film est donc un signe d'alarme. On l'a fort bien compris ainsi en Allemagne. Notre censure, qui est très sévère, a admis le Maudit intégralement. La police elle-même, n'y a rien trouvé à redire. Tous ont jugé cette œuvre socialement utile. »

 

Seule voix dissonante, celle de L'Humanité qui, citant l'interview du Matin, livre un article à charge contre M le Maudit et son auteur :

 

« Le confusionnisme et l'hypocrisie bourgeoise qui, par-delà les qualités proprement cinématographiques, signalaient Metropolis, consacrant l'alliance heureuse et féconde du capital et du travail, condamnant la lutte de classes, ne sont rien à côté de la moralité bourgeoise qu'il s'agit de dépister à travers les épisodes policiers du fait-divers que présente Fritz Lang dans le Maudit.

 

Ce film, lorsqu'il atteindra les salles populaires, devra être dénoncé comme il le mérite, et d'autant plus que l'habileté technique incontestable du cinéaste, le soin de la réalisation (interprétation et décors) sont propres à abuser des spectateurs non avertis.

 

Du film policier au film de police : l'étape est franchie. »

 

Aujourd'hui, certains historiens voient dans M le Maudit une allusion subtile à l'ascension d'Hitler. Arrivés au pouvoir, les nazis interdiront d'ailleurs le film en Allemagne.