Écho de presse

Maxime Gorki, le frère ennemi de Lénine

le 26/10/2018 par Pierre Ancery
le 20/10/2017 par Pierre Ancery - modifié le 26/10/2018
Maxime Gorki ; estampe de Steinlen ; 1905 - source Gallica BnF

Ami de Lénine et fervent bolchevik jusqu'en 1917, l'écrivain russe critiqua sévèrement la révolution d'Octobre. Après une décennie d'exil, il finira pourtant acclamé par le régime stalinien.

Au début du XXe siècle, Maxime Gorki (1868-1936) est sans doute l'écrivain russe vivant le plus connu au monde. Romancier, dramaturge, nouvelliste, il écrit inlassablement sur le petit peuple de Russie, dont il est issu. Mais Gorki est célèbre aussi pour son engagement politique. Marxiste convaincu, soutien fervent du mouvement bolchevik, c'est un ami de Lénine. Il participe à la révolution de 1905, ce qui lui vaut d'être emprisonné.

 

Une fois libéré, il doit s'exiler, aux États-Unis d'abord, puis à Capri, où Lénine lui rend visite. Il rentre en Russie en 1913. Lorsque éclate la révolution de Février 1917, il est aux premières loges, commentant les événements dans son journal La Vie nouvelle. Le 8 avril, le journal La France écrit à son sujet :

 

« La Révolution devait appeler Maxime Gorki. C’est lui qui l'a préparée depuis des années en aidant la conscience de son pays à se ressaisir. […] Ce merveilleux idéalisme réalisateur consacré par les faits, est une leçon que nous ne devons pas oublier. »

 

Pourtant, lorsque les bolcheviks menés par Lénine s'emparent du pouvoir, en novembre, Gorki est effaré. L'envoyé spécial du Matin le rencontre à Petrograd (Saint-Pétersbourg) le 8 novembre, le lendemain même du coup d’État : l'interview paraît le 18 décembre 1917

 

« Ce sont des insensés !
Alors, fis-je, la Novoia Jizn (c'est le journal de Gorki) n'appuiera pas le groupe Trotzky ?
Non ! moi et mes amis nous avons toujours été opposés à un coup d’État : on ne peut s'emparer du pouvoir par la violence. Trotzky et Lénine ont eu le triomphe facile. Ils s'imaginent que leur succès est une preuve de l'approbation des masses. Cela n'est pas vrai ! Contre un gouvernement comme celui qui vient de tomber, n'importe quelle entreprise audacieuse aurait réussi. En réalité les hommes qui, ce matin, sans m'avoir consulté, ont accaparé le pouvoir par un coup de surprise sont des isolés. Malheur à eux, si autour de leur gouvernement ne se forme une coalition de toute la démocratie russe ! Qu'ils n'espèrent pas gouverner seuls ! Ils seront balayés par le premier mouvement de mécontentement populaire et le pays sera plongé dans l'anarchie. »

 

Lui qui rêvait d'une révolution sans violence assiste, impuissant, aux tueries qui ensanglantent la Russie. Dans son journal, il fustige Lénine et « l'anarchisme zoologique » de cette « révolte russe sans socialisme ». Le 31 janvier 1918, La France publie un extrait d'un article auquel il a donné le titre de « J'aime la Russie » :

« Les commissaires du peuple traitent la Russie comme un sujet d’expérience. Le peuple russe est pour eux ce qu’est pour les savants bactériologistes le cheval, auquel ils inoculent le typhus pour extraire de son sang le vaccin antityphique. Seulement, les commissaires du peuple font, sur le peuple russe, une expérience brutale, vouée dès le début à l’insuccès, sans penser que le malheureux cheval, déjà à demi-mort de faim, peut en crever. »

 

Gorki, toutefois, va peu à peu estimer qu'une dictature bolchevik vaut mieux que l'anarchie.

 

Mais sous les menaces de Lénine, il doit quitter à nouveau la Russie en 1921. Il se réfugie en Allemagne puis en Italie. Vieilli, fatigué, il ne reviendra une première fois en Russie qu'en 1929. Staline l'accueille à bras ouverts, organisant des réceptions, le faisant applaudir par des milliers d'ouvriers. Gorki, par ailleurs devenu très dépendant de ses droits d'auteur soviétiques, se réinstalle en URSS en 1932.

Dès lors, il devient un membre important de la nomenklatura (il est président de l'Union des écrivains soviétiques) et participe à la propagande d'un régime qui l'honore et le surveille en même temps. Sa ville natale de Nijni Novgorod est rebaptisée Gorki, nom qu'elle gardera jusqu'en 1991.

Lorsqu'il meurt en 1936 (certains ont suggéré que ce fut par empoisonnement), il a droit à des funérailles nationales sur la place Rouge. Staline fait partie des porteurs du cercueil, comme on le voit sur cette photo :

 

Gorki sera inhumé dans la nécropole du mur du Kremlin – juste derrière le mausolée de Lénine.