Écho de presse

Napoléon III, « nouvel historien de Jules César »

le 14/03/2019 par Julie Duruflé
le 09/10/2017 par Julie Duruflé - modifié le 14/03/2019
Portrait de Napoléon III - Source Gallica BnF

1865, la publication d'une « Histoire de Jules César » par Napoléon III fait grand bruit : l'enthousiasme semble unanime, aucun critique ne se risque à entacher le travail d'écriture par l'empereur d'une Histoire au service de l'État.

Le Constitutionnel, 13 octobre 1865 :

« Lorsqu'un prince ou un homme d'État se fait auteur, c'est ordinairement pour raconter ce qu'il a fait, expliquer sa politique ou la défendre devant la prospérité. Le nouvel historien de Jules César nous paraît avoir pris la plume dans une vue plus désintéressée. »

Fasciné par le général romain, Napoléon III n'a pas fait dans la demi-mesure : dans les années 1860, c'est à la plume de l'Empereur que l'on doit les deux premiers volumes d'une Histoire de Jules César qui en comptera trois ; pour fonder sa réflexion qu'il veut savante, il s'est entouré d'une armada d'érudits - à l'instar de Prosper Mérimée ou encore d'Alfred Maury qu'il a réunis dans la Commission de la Topographie des Gaules - pour lui fournir des travaux préparatoires.

Surtout, Napoléon III ne se limite pas aux seules sources que lui apporte l'historiographie. Dans le prolongement de la création du musée des Antiquités nationales (1862), le projet du « nouvel historien de Jules César » est l'occasion d'entreprendre des fouilles sur les lieux des principaux combats de la guerre des Gaules, jusque là étudiée principalement à partir des Commentaires de César

Avant même sa parution, l'ouvrage est attendu avec un enthousiasme palpable - avant tout eu égard à son auguste auteur. « Quel bruissement dans les lettres, dans la politique, dans les cours, dans les salons, dans les journaux d'un bout à l'autre de l'Europe ! »​ s'exclame Le Siècle du 6 février lorsqu'il annonce déjà le succès international du livre qui sera publié dans le même temps en France, « en Angleterre, en Allemagne et jusqu'à Constantinople, où le sultant fait traduire l'oeuvre de Napoléon III ». 

Le journal s'attarde en particulier sur une tendance nouvelle et caractéristique de l'époque qui inciterait à l'écriture dans les plus hautes sphères du pouvoir : 

« Constatons dès aujourd'hui, à l'honneur éternel de la plume, que le livre, ce maudit d'autrefois, ce suspect des gouvernemens [sic], ce pelé, ce galeux d'où venait tout le mal, semble avoir pour les souverains de nos jours d'irrésistibles attractions. Nous voyons ça et là, de loin en loin, entrer dans la république des lettres des princes et des rois qui viennent solennellement adorer ce qui avait été brûlé par leurs prédécesseurs. Un des signes les plus caractéristiques de notre temps ! »

Et Napoléon III ne déroge pas à cette attraction en consacrant beaucoup de temps, d'argent mais surtout de lignes à Jules César, d'autant que son travail a pour dessein explicite la justification de l'Empire. Fin février 1865, la plupart des journaux avaient présenté dans leurs colonnes, comme avant-goût de l'ouvrage, la préface signée par l'Empereur. Cet extrait, dont la publication « a pris les proportions d'un véritable événement » selon le Courrier de Saône-et-Loirecomprend la thèse de l'auteur : le césarisme fait le bonheur des peuples.

« Le but que je propose en écrivant cette histoire [...] est de prouver que, lorsque la Providence suscite des hommes tels que César, Charlemagne, Napoléon, c'est pour tracer aux peuples la voie qu'ils doivent suivre, marquer du sceau de leur génie une ère nouvelle, et accomplir en quelques années le travail de plusieurs siècles. Heureux les peuples qui les comprennent et les suivent ! »

Le 20 mars 1865 alors que le premier tome vient de paraître, Le Journal des Débats insiste sur la destinée de ce « monument précieux d'histoire ancienne par le sujet, et d'histoire contemporaine par l'auteur, appuyé sur d'immenses recherches » :

« La publication de l'Histoire de Jules César est un événement, mais un événement qui ne sera pas l'affaire de quelques jours. Ce livre n'aura pas, comme tant d'autres, une destinée aussi courte que brillante ; après avoir été la conversation de tout le monde, il n'ira pas s'éteindre dans le cabinet des curieux. »

Les journalistes exultent de curiosité et abondent pour couronner un ouvrage pour le moins exceptionnel ; pas une critique négative ne paraît. Dans son article publié le 14 mars dans le Journal des Débats Politiques et Littéraires, le journaliste et politicien Samuel Ustazade Silvestre de Sacy livre une vibrante critique. Le futur sénateur (nommé quelques mois plus tard, en décembre 1865) y éprouve le besoin d'affirmer l'indépendance de son émoi face à l'oeuvre de l'Empereur : ce n'est pas l'auteur qu'il craint lorsqu'il considère cet ouvrage. 

« Pourquoi n'en ferais-je pas l'aveu sincère ? Je suis plus ému en commençant cet article que je ne l'aurais pensé. Un vieux journaliste se troubler devant un livre ! On peut m'en croire pourtant : ce n'est pas l'auteur que je redoute et dont le nom m'inquiète et me gêne [...]. Ce qui m'épouvante pour la première fois de ma vie, c'est la curiosité publique, si justement, mais si vivement excitée par ce livre d'un bout du monde à l'autre. [...] C'est le livre lui-même, avec la multitude de questions qui s'y rattachent, questions d'histoire, d'archéologie, de tactique militaire ; questions de philosophie, de politique, de morale ; et le poids qu'ajoutent à chacune des opinions exprimées les lumières, l'expérience, l'autorité de celui qui les exprime ».

Le journaliste l'affirme, « l'Empereur est tout entier dans ce livre. [...] Un jour peut-être, avec cette histoire de Jules César, on pourra refaire l'histoire de Napoléon III, l'histoire, du moins, de ses pensées, de ses convictions, de son âme ».

Le travail de Napoléon III sur Jules César s'inscrit dans un XIXe siècle où succède au roman monarchique un récit national élaboré autour d'une histoire des Gaulois : la bataille d'Alésia, dont le site a été identifié au cours des fouilles, renvoie pour l'Empereur à la mythologie d'une "défaite civilisatrice" (Patrick Boucheron, Nicolas Delalande).

La Bibliothèque nationale de France permet un nouvel accès à cet incontournable de l'historiographie du XIXe siècle en version epub : des historiens ainsi que des conservateurs de la BnF se sont plongés dans ce "siècle de l'histoire" pour sélectionner 100 livres, tous d’un intérêt majeur, non réédités ou indisponibles pour la plupart, et créer le coffret 100 livres d'histoire à (re)découvrir - Ecrire l'histoire au XIXe siècle.

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