Traversée ratée
En 1910, une audacieuse tentative de traversée de l'Atlantique en dirigeable tient en haleine la presse et le public plusieurs semaines durant.
En ce début du XXe siècle, la conquête de l'air passionne les foules. En 1910, tous les ingrédients sont réunis pour que la tentative de traversée de l'Atlantique en dirigeable défraie la chronique.
L'aéronaute américain Walter Wellman fait savoir qu'il projette de quitter Atlantic City pour rejoindre l'Angleterre à bord d'un dirigeable fabriqué en France, l'America. L'homme n'en est pas à son ballon d'essai — toutes ses tentatives se sont jusque-là soldées par un échec...
Dès la fin de l'été, les journaux annoncent le départ imminent de Wellman (en août dans Le Journal, en septembre dans La Presse)... Quasiment pas une semaine sans que la traversée ne soit évoquée.
La presse finit bientôt par ne plus y croire quand, enfin, le matin du 15 octobre 1910, l'aéronaute Walter Wellman, quatre équipiers et un chat porte-bonheur, quittent Atlantic City à destination de l'Europe. Les premières nouvelles sont rassurantes puis c'est le silence radio... "Qu'est devenu l'América ?", s'interroge gravement Le Figaro, qui raconte :
"Jusqu'au moment du départ, et même un peu après le départ, on crut à un nouveau bluff (...) Le départ d'Atlantic City fut profondément émouvant ; il n'eut que quelques témoins, mais il fut déchirant. Depuis un mois qu'on attendait un départ toujours remis, on ne croyait plus à la tentative, et depuis quelques jours déjà Wellman était dans les journaux l'objet de railleries amères. Au moment des adieux, Wellman se prit à pleurer abondamment ; il embrassa sa femme et ses deux filles, s'arracha à leurs étreintes et prit vivement place à bord de la nacelle où déjà s'était embarqué l'équipage, et sur son ordre le dirigeable fut abandonné à l'espace."
"Où est Wellman ?" s'interroge L'Ouest-Éclair, "On est inquiets sur le sort de Wellman", renchérit Le Gaulois. Et pour cause, le dernier télégramme reçu indique :
"Perspective moins favorable, mais nous continuons à lutter."
Le 19 octobre, les journaux annoncent l'échec de l'America et le sauvetage de son équipe... C'est une déception. "Wellman a échoué", titre Le Petit Parisien :
"Wellman et ses courageux compagnons ont échoué dans leur audacieuse tentative de la traversée de l'Atlantique : telle est la nouvelle câblée ce soir, à sept heures, de New-York à Londres, où elle a causé la plus vive émotion à la foule anxieuse et avide de connaître l'issue du raid tenté au-dessus de l'Atlantique par le hardi aéronaute américain."
Après 69 heures de vol, les moteurs ont lâché, le dirigeable a perdu de l'altitude, et l'équipage a été obligé de jeter par-dessus bord un des moteurs inutilisables avant de se laisser glisser dans le canot de survie. Les cinq hommes sont récupérés par un steamer proche et voient alors leur dirigeable s'éloigner lentement...
Le chat porte-bonheur — sauvé lui aussi — n'a pu empêcher le fiasco, mais l'équipage peut se consoler :
"Ce dirigeable, qui était parti dimanche matin à huit heures, a pu se maintenir dans les airs durant 69 heures consécutives, battant de loin tous les records du monde de distance et de durée."