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1927 : Voyage au Congo d'André Gide

le par - modifié le 17/09/2020
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André Gide et Marc Allégret, son secrétaire, quittent Bordeaux le 18 juillet 1925 pour le Congo belge et le Congo français. Ils traversent l’Oubangui-Chari et le Tchad pour aboutir au Cameroun. De retour en France, ils publient deux livres et un film.

Un témoignage retentissant

La Nouvelle Revue Française publie le journal de bord de Gide en deux volumes : Voyage au Congo en 1927 puis Le Retour du Tchad en 1928. Le 11 juillet 1927, Léon Blum rapporte dans Le Populaire en première page la dénonciation que Gide porte, celle d’« un régime abominable qui est en cause et favorise les pires abus, qui ruine un vaste pays, capable de prospérité, qui asservit et exténue tout un peuple ! ».

Et ici Gide ne parle pas du système colonial, mais des compagnies concessionnaires, qu’il qualifie de « sangsues ». Ces accusations rencontrent un écho à la Chambre.

Le 23 novembre 1927, selon Le Matin du 24 novembre 1927, le député du Cantal, Henry Fontanier, prend la parole au nom du groupe socialiste à l’occasion de la discussion du budget des colonies à la Chambre. Il veut alors attirer « l’attention sur la situation pitoyable des travailleurs dans les colonies notamment sur le chemin de fer de Brazzaville, où le recrutement se fait par contrainte ». Il aurait lu à cette occasion des extraits du livre de Gide à la tribune.

Cependant la valeur des observations est vite sujette à débat.

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Portrait d'André Gide par Paul-Albert Laurens, 1924 - source : Bibliothèques de Paris

Une relation de voyage qui divise la presse

Ainsi Le Temps du 13 juillet 1927, dans un article en première page intitulé « M. André Gide au Congo », critique la relation de voyage de l’écrivain, texte qui viserait à « incriminer la cruauté tyrannique de nos fonctionnaires et la cupidité sans merci de nos commerçants ». Le journaliste remet en cause la validité du témoignage.

Gide se serait fait « duper par un chef noir, plusieurs fois condamné pour trafic d’esclaves et autres exactions, révoqué par nos soins, et naturellement peu satisfait ». Et d’ajouter : « La sincérité n’excuse pas le défaut de critique ». Il estime que c’est « un réquisitoire dont la partialité inconsciente est évidente ». Et il conclut en ces termes : « L’écrivain dont nous attendions de savoureux paysages ne nous donne qu’un pamphlet qui voudrait être un rapport d’inspection désordonné. Il est passé à côté de son but ».

À l’inverse, Henri Barbusse, qui livre dans L’Humanité du 12 juin 1927 une chronique littéraire thématique autour du « bétail colonial », juge que le livre de Gide « contient d’émouvantes accusations » notamment sur l'exploitation du caoutchouc.

Le 8 septembre 1927, L’Humanité enfonce le clou et relaie les propos d’André Gide, « un homme qui est très loin de partager » les idées du journal sur le traitement des femmes et des enfants aux colonies, réquisitionnés pour le portage. Il dénonce l’enrichissement des « bourreaux », des administrateurs et des compagnies, « triomphe de la colonisation et l’impérialisme ».

La récolte des gouttes de caoutchouc dans une exploitation au Congo belge, Agence Mondial, 1920 - source : Gallica-BnF

Mais un film salué par la critique

Critique envers le livre, Le Temps du 18 juin 1927 salue « un beau film géographique et ethnologique », qui possède « un rythme et un accent tout à fait particuliers. Il a une personnalité parce qu’il a un style ».

Marc Allégret, dont c’est le premier film, a ramené de ce voyage des photos et les images d’un film, Voyage au Congo, un documentaire de 90 minutes qu’il a cosigné avec Gide. Ce film, selon Le Temps« s’intéresse aux signes de la race et nous permet d’étudier à loisir sur le visage d’une jeune fille indigène tous les capricieux ou fermes desseins du génie de l’espèce ».

Il note plus particulièrement une « étude fugitive de l’épiderme noir, alternativement mat ou luisant pendant une ablution, qui ravit l’œil de la même façon que la caresse d’un bronze poli enchante la main »

Voyage au Congo, c’est un livre et un film. C’est non seulement une dénonciation forte et dissonante des abus des compagnies comme la compagnie forestière Sangha Oubangui envers les peuples d’Afrique, mais aussi une dénonciation des clichés et des préjugés d’une époque sur ces mêmes peuples.