Écho de presse

L’occultiste Aleister Crowley, persona non grata en France

le 10/01/2019 par François Cau
le 04/12/2017 par François Cau - modifié le 10/01/2019
L'occultisme et prétendu espion Aleister Crowley, tout sourire dans les colonnes du Populaire, 18 avril 1929 - source : BnF-RetroNews

Parmi les grandes figures de l’ésotérisme, Aleister Crowley est sans doute la figure la plus fascinante – et la plus ambivalente. Sa présence à Paris à la fin des années 1920 contraint les autorités françaises à l'extrader.

1929. Ce n’est pas la première fois qu’Aleister Crowley, personnalité sulfureuse du monde occulte, s’installe dans la capitale française. Au début du XXe siècle, Crowley s’y est déjà lié d’amitié avec le sculpteur Auguste Rodin – pour lequel il rédigera par ailleurs une élégie poétique inspirée de son œuvre.

Ses traductions anglaises de Baudelaire et ses propres poèmes recueillent leurs lots de louanges. L’homme est en outre un alpiniste hors pair, qui a dilapidé une bonne partie de son héritage en expéditions périlleuses. Mais ce n’est pas ce curriculum qui pose problème à ses multiples pays hôtes, qui se refilent tour à tour l’encombrant et sulfureux personnage.

« Personnalité étrange, sans aucun doute, mais à laquelle notre sympathie se refuse sans hésitation. »

Pour la version officielle de son avis d’expulsion, Aleister Crowley serait un espion, un agent double ou même triple selon les versions les plus hardies.

« À en croire certains organes américains, Aleister Crowley aurait pendant la guerre espionné au profit de l’Allemagne. Pour sa défense, Crowley rétorque, non sans cynisme, qu’il a “servi” l’Angleterre dans les mêmes honorables conditions. »

L’espionnage est une chose, mais le reste de son cursus n’arrange rien.

« Mais rien ne manque à sa gloire. On le dit aussi affilié à une secte de Kabbalistes. On lui prête des initiations multiples et étonnantes en matière de sorcellerie. Son nom est mêlé à d’incroyables scènes de magie noire. »

Il semble cependant que ces faits n’aient pas seuls suffi à décider la police à prendre contre lui la mesure d’expulsion.

« Sir Crowley aurait attiré sur lui l’attention et l’hostilité officielles pour n’avoir pas observé les règles de la morale. »

Le Petit Parisien a eu l’opportunité de rencontrer Crowley avant son départ. Lorsqu’il le présente aux lecteurs français, le journaliste prend un maximum de pincettes.

« Ce qu’on lui reproche, il va le dire lui-même, en s’en défendant :

– D’abord, je fais des messes noires. Les femmes, je les crucifie, et puis je les mange. C’est pratique. Je suis espion aussi. Enfin, j’ai volé les tours de Notre-Dame. Voilà…

Il rit. Mais il n’est pas commode de rire avec lui. On a plutôt envie d’aller se cacher dans un coin. Ce rire a quelque chose de funèbre. Et le rictus qui l’accompagne n’est pas très rassurant non plus. »

La description physique de l’interviewé plante l’ambiance.

« Le voilà assis dans son lit, les jambes croisées sous les draps, adipeux et formidable dans son déshabillé précieux. D’un pyjama de soie champagne, le cou monstrueux émerge qui supporte la tête la plus étrange qui se puisse imaginer.

L’énorme front dépouillé s’orne d’une mèche à la mode tartare ; les yeux, bleu clair, vont on ne sait où avant de se poser sur vous avec une insistance cruelle. La voix est grasse, avec un accent très prononcé.

Dans la chambre, une chambre de malade, un parfum bizarre flotte, quelque chose de pas naturel, comme d’une drogue orientale. »

Pour le journal du soir L’Intransigeant, Charlotte Barbier se remémore ses rencontres d’avant-guerre avec le controversé Crowley. Le portrait, plus ancien, s’avère beaucoup plus flatteur.

« J’ai trop souvent vu Aleister Crowley pour n’avoir pas conservé très nette son image : très grand, glabre, un de ces petits nez puérils comme en ont souvent les Anglais, de teint pâle, et sans rien d’extraordinaire, n’étaient ses yeux : des prunelles claires, au regard en dedans, parfois étrangement brillants, d’autres fois comme s’ils se couvraient d’une taie qui les faisait inscrutables.

Bizarre aussi était, au-dessus d’un crâne chauve à la d’Annunzio, une petite touffe de cheveux cirés et qui se dressait toute droite, lui donnant un air de clown chinois. »

L’auteure se rappelle avoir apprécié ses talents artistiques et d’éditeur, beaucoup moins son insistance assidue, digne d’un mauvais soupirant, à vouloir la convertir à l’occultisme.

« Il affirmait aussi voir au travers des murailles les plus épaisses, d’un regard chargé de rayons qui perçait tous les obstacles. Pour cela, je suis bien sûre du contraire. Car, que de fois je le vis traverser la cour qui précédait mon appartement et venir sonner inlassablement à ma porte derrière laquelle je me tenais sans bouger, n’étant point disposée à m’entretenir d’occultisme quand mon ménage n’était pas fait.

Il avait convaincu son entourage qu’il pouvait se déloger de son corps. Ce serait peut-être le moment pour lui d’utiliser cette rare faculté. »

Sa logeuse parisienne, peu versée dans la chose politique, ne partage pas les réticences unanimes à son endroit selon son témoignage dans Paris-Soir.

« Un illuminé, peut-être un fou, mais un locataire très poli, très correct, très “vieille France”… bien qu’il soit Britannique. Certes, il s’occupait de magie, mais si mes planchers sont brûlés par son encens, je crois que ces pratiques ne faisaient de mal à personne. »

L’angoisse l’emporte sur cette rare approche bonhomme de celui qu’on dit versé dans un « syncrétisme ésotérico-sataniste ». Il part pour Bruxelles, se marier une nouvelle fois avec son dernier amour, rencontré au Nicaragua. Ils furent heureux un temps et célébrèrent sans doute beaucoup de messes noires. 

Crowley décédera dix-huit ans plus tard, en 1947, à Hastings, dans son pays d'origine.

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