Carte Blanche

La « chair du temps » : Sylvie Germain face au XXe siècle

Carte blanche à Sylvie Germain sur RetroNews - source photographie : copyright Tadeusz Kluba

Carte blanche à une autrice majeure du champ littéraire français depuis les années 1980, l’écrivaine Sylvie Germain qui crée des mondes doubles : fantastiques quoique directement inspirés des charniers de l’histoire contemporaine. Elle nous parle de son rapport au temps et au réel, outils de ses fictions.

Première Guerre mondiale, Shoah, génocide tzigane, guerre d’Algérie, goulag… Les personnages des romans de Sylvie Germain, auteure notamment du Livre des Nuits, de Magnus ou du Vent reprend ses tours, sont souvent marqués au fer rouge de l’Histoire.

L’écrivaine revient ici sur son intérêt pour les événements du XXe siècle et la contribution de la fiction à l’« effort de mémoire ».

Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier

RetroNews : Beaucoup de vos romans, sans être des romans historiques, accordent une place importante à l’Histoire du XXe siècle, qui sert de toile de fond aux drames qui s’y nouent. Pourquoi cet intérêt pour l’Histoire, et spécifiquement celle des guerres mondiales et de la Shoah ?

Sylvie Germain : L’Histoire n’est pas une simple toile de fond, elle est tout sauf un décor : elle est la chair du temps. Or nous sommes tous marqués par l’époque dans laquelle nous naissons et grandissons. Dans les années 1950-60 – je suis née en 1954 –, la Première et la Seconde Guerre mondiales étaient encore très présentes. Nous avions étudié la Grande Guerre au lycée, du moins dans ses grandes lignes ; mais j’avais surtout un grand-père qui avait survécu aux tranchées et en était resté marqué, physiquement et psychiquement – comme tous ceux qui étaient revenus.

On parlait peu dans ces années-là des atrocités de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah – le mot n’existait d’ailleurs pas encore, c’est le film de Claude Lanzmann qui l’imposera. Ceux qui avaient été victimes ou témoins aspiraient simplement à se reconstruire. Certains avaient raconté ce qu’ils avaient vécu : David Rousset, Primo Levi, Elie Wiesel, Robert Antelme notamment. Ils avaient été édités, mais leurs témoignages n’avaient rencontré que peu d’écho.

C’est dans les années 1970 seulement qu’ils sont véritablement sortis de l’ombre. La découverte, à ce moment-là, des horreurs de la Seconde Guerre mondiale a constitué, pour la jeune femme que j’étais et qui avait été, pendant toute son enfance et son adolescence, entourée de valeurs positives, une véritable cassure – une blessure de conscience. Que de bons pères de famille puissent être en même temps des bourreaux sans états d’âme était – et est toujours – un défi à la raison.

Le XXIe siècle a hélas son lot de guerres lui aussi. Certains de vos li...

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