Chronique

Sonia Delaunay, pionnière de l’art abstrait et de l’art déco

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Portrait de Sonia Delaunay, circa 1912 - source : WIkiCommons

Géniale créatrice préfigurant les arts « multi-surfaces » de la fin du XXe siècle, la grande Sonia Delaunay a été contrainte de s’effacer au profit de son mari, le peintre Robert. Discrète, elle fut souvent condamnée à jouer la « femme de » dans la presse des années vingt.

Sonia Delaunay n’a pas été ignorée par la presse française : son nom apparaît très régulièrement, de 1913, date de sa première production notable, à 1979, date de sa mort. Mais outre que l’attention se concentre sur une assez courte période, 1913-1938, l’entremêlement de sa carrière avec celle de son mari Robert, et son assimilation presque exclusive aux « arts déco » ont souvent empêché ses contemporains de bien mesurer son importance artistique. Retour sur une visibilité médiatique en trompe l’œil.

Le 16 octobre 1913, Gil Blas consacre un petit entrefilet au « Premier livre simultané » :

« Nous avons reçu la visite de M. Blaise Cendrars, auteur, avec Mme Sonia Delaunay-Terk, du Premier Livre simultané, dont nous avons annoncé l’apparition prochaine. (…)

Ce livre, composé de feuillets oblongs, aura l’aspect d’un tableau, d’une toile de 2m36. Il ne sera pas à proprement parler illustré, mais chaque membre de phrase recouvrira autant de cellules coloriées, les mots étant peints en une autre couleur. »

Cette œuvre originale est l’une des premières de l’artiste d’origine ukrainienne célébrée par la critique. Âgée de 28 ans, elle vivait à Paris depuis 1906, et avait épousé en 1910 le peintre Robert Delaunay, avec qui elle devait former un des plus féconds et des plus prolifiques couples d’artistes de tous les temps. Elle est encore, à cette date, désignée par son nom d’épouse accolé à son nom de jeune fille, Terck, qui n’était pourtant pas celui de sa naissance.

Née en 1885 à Gradizhsk, en Ukraine dans une modeste famille d’ouvriers juifs du nom de Stern, elle avait été adoptée à l’âge de 6 ans par un oncle aisé de Saint-Pétersbourg, qui lui offrit une adolescence confortable et cultivée. Si, comme tant de jeunes filles russes, elle était venue à Paris pour parfaire son français en même temps que l’art de peindre, après une première formation à l’Académie de Karlsruhe, elle eut le coup de foudre pour la capitale française, alors centre des avant-gardes littéraires et artistiques, au point de contracter, en 1908, un mariage blanc avec un galeriste parisien homosexuel d’origine allemande, Wilhelm Ude, pour ne pas avoir à rentrer en Russie. Dès lors, son destin fut à la fois français et très international.

En 1906, les Fauves exposés au Troisième Salon d’automne avaient suscité son émerveillement. Mais c’est sa rencontre avec Robert, en 1909, qui allait l’ancrer dans l’avant-garde picturale. Ensemble, le couple entreprit de créer, d’expérimenter, de théoriser, en se détachant progressivement du cubisme pour aller vers l’orphisme et le « simultanisme », dont l’article du Gil Blas rappelait les principes à ses lecteurs :

« Le simultanisme de ce livre est dans sa représentation simultanée et non illustrative. Les contrastes simultanés de couleur et le texte forment des profondeurs et des mouvements qui sont l’inspiration nouvelle. »

Le Comoedia du 2 juin 1914, avait une autre interprétation :

« Le simultanisme est une méthode nettement représentative, ayant pour but de décrir...

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