Chronique

1885 : « La Parisienne », femme de petite vertu ?

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Illustration pour la reprise à la Comédie française de la pièce "La Parisienne", 1890 - source : Gallica-BnF

Lors de sa première, la pièce d’Henri Becque La Parisienne divise : d’un côté on est charmé par le caractère « viril » et ambitieux de son personnage principal. De l’autre, cette représentation d’une femme ouvertement cynique effraie les critiques conservateurs.

« La censure a rendu intact le manuscrit de La Parisienne, de M. Henry Becque, qui contient, dit-on, des mots très risqués et très hardis. »

C’est par cette remarque que, le 1er février 1885, L’Écho de Paris signale la prochaine mise-en-scène, au théâtre de la Renaissance, de la pièce du dramaturge Henry Becque.

Qu’une pièce intitulé « La Parisienne » puisse contenir des mots « très risqués et très hardis » ne saurait étonner le public : le terme suggère en effet une femme élégante et légère, aussi piquante que rouée, qu’elle soit grisette, mondaine ou cocotte. En gestation dès la fin du XVIIIe siècle, sa sulfureuse image s’est solidifiée sous la Monarchie de Juillet, à travers le roman – en particulier ceux de Balzac  –, la presse de mode, ou les « physiologies », ces petites brochures humoristiques des années 1840 consacrées aux types sociaux de l’époque – c’est l’écrivain Taxile Delord qui a rédigé celle de la Parisienne, en 1841.

Depuis, cet idéal-type féminin a connu une spectaculaire inflation : Offenbach l’a chantée en 1866 dans sa Vie parisienne – « sa robe fait frou frou frou / ses petits pieds font toc toc toc » –, Renoir l’a peinte en bleu, en 1874, sous les traits du modèle Henriette Henriot, Manet, en noir, en 1875, sous les traits de l’actrice Ellen Andrée, puis quantité d’artistes leur ont emboîté le pas, de James Tissot à Jean Béraud, grand spécialiste du genre. Le théâtre n’a pas été en reste, puisque, ainsi que le remarque le Gil Blas du 22 février à propos de Becque :

« Sa Parisienne a des sœurs aussi nombreuses que dissemblables entre elles et l’on pourrait faire vingt pièces, sous ce seul titre, et roulant dans le même cadre, qui seraient très différentes, tout en restant aussi vraies et aussi humaines. »

Il se trouve même un journaliste érudit du Gaulois pour se souvenir qu’en 1690, Florent Carton dit Dancourt, sociétaire de la Comédie Française, avait déjà produit une pièce intitulée « La Parisienne ». Précisons que « le Parisien », lui, n’a jamais connu la même fortune – on a plutôt tendance à ridiculiser son snobisme et sa préciosité.

Certes un peu équivoque, La Parisienne avait donc suffisamment de partisans pour échapper aux foudres de la censure. Pourtant, celle de Becque ne va pas sans créer quelques remous. La première raison en est que la pièce traite frontalement d’une des facettes les plus controversées du personnage, l’adultère : son héroïne, Clotilde Du Mesnil, est une charmante bourgeoise mariée à un économist...

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