Écho de presse

Le scandale Stravinsky

le 20/01/2019 par Pierre Ancery
le 12/08/2016 par Pierre Ancery - modifié le 20/01/2019

En 1913, le Sacre du printemps est représenté pour la première fois à Paris. Le public et la presse se déchaînent.

Dans l'histoire de la musique, peu de scandales ont eu autant de retentissement que celui de la première représentation du Sacre du printemps, au théâtre des Champs-Élysées, le 29 mai 1913. Ce ballet long de 30 minutes environ, a été composé par Igor Stravinsky, qui y approfondit les audaces rythmiques et harmoniques déjà expérimentées dans L'Oiseau de feu et Petrouchka. Il est chorégraphié par Vaslav Nijinski pour les Ballets russes de Diaghilev.

 

Le soir de la première, Le Sacre du printemps provoque un invraisemblable chahut parmi le public, qui ne comprend pas la portée novatrice de l’œuvre de Stravinsky, ni celle de la chorégraphie de Nijinski. Éclats de rire et moquerie ponctuent toute la représentation, les détracteurs qualifiant même le ballet de « Massacre du printemps »... Pourtant, la veille, la générale s'est déroulée dans le calme, en présence de Ravel, de Debussy, et de la presse parisienne. Celle-ci, pourtant, dans les jours qui suivent, ne se montrent pas moins durs que le public.

 

Le 30 mai, L’Écho de Paris éreinte le ballet, qu'il qualifie de « double couche de vitriol » :

 

"La musique de M. Stravinsky est déconcertante et désagréable. Sans doute s'est-elle proposé de ressembler à la chorégraphie barbarescente. On peut regretter, que le compositeur de l'Oiseau de feu se soit laissé aller à de telles erreurs. […] Dans le désir, semble-t-il, de faire primitif, préhistorique, il a travaillé à rapprocher sa musique du bruit. Pour cela, il s'est, appliqué à détruire toute impression de tonalité. […] Il s'agit seulement de n'obtenir presque jamais un de ces ignobles accords, qui passaient jadis pour être consonants. Et cette musique sauvage, durant une demi-heure, accompagne des danses de caraïbes."

 

Le Temps du 3 juin n'est guère plus clément :

 

"La chorégraphie est d'une regrettable médiocrité. […] Il n’y a pas, dans tout le Sacre du printemps, une seule ligne, un seul mouvement d’un seul personnage qui ait une apparence de grâce, d’élégance, de légèreté, de noblesse,, d’éloquence et d’expression : tout est laid, lourdement, platement et uniformément laid."

 

Le Gaulois du 9 juillet, quant à lui, fait preuve d'un peu plus d'humilité :

 

"Plaçons-nous d'une façon nouvelle en face d'un nouvel art, qui veut s'élever, se purifier, peut-être aller trop loin dans le symbole. [...] Notre responsabilité critique s'embrouille de tant de hardiesses novatrices et se trouve exposée à une rude épreuve, j'en conviens, mais si la chose est téméraire, complexe, j'ai la certitude qu'elle est passionnante."  

 

Quelques jours après la première, Stravinsky, écœuré par les critiques, tombe malade et passe six semaines dans une maison de santé à Neuilly-sur-Seine. Représenté à nouveau à Paris l'année suivante, Le Sacre du printemps sera un véritable triomphe. Il est aujourd'hui considéré comme une des œuvres les plus importantes du XXème siècle.