Écho de presse

"L'indépendance morale, je suis prêt à tout lui sacrifier"

le 29/05/2018 par Marina Bellot
le 22/08/2016 par Marina Bellot - modifié le 29/05/2018

En 1933, l'écrivain autrichien Stefan Zweig s'exprime dans un journal français sur la censure dont il est victime en Allemagne.

En 1933, alors que vient de paraître en France le célèbre Marie-Antoinette de Stefan Zweig, L'Intransigeant rencontre l'écrivain autrichien lors d'un de ses discrets passages à Paris. Le nouveau gouvernement allemand du Reich vient de retirer les livres de Stefan Zweig des bibliothèques publiques et d’en faire brûler un certain nombre sur la place publique...

L'écrivain, profondément attaché à l'Allemagne, s'exprime sur la censure à l'oeuvre :

"J'ai perdu ces huit derniers mois presque complètement. Les événements en Allemagne étaient trop importants et me touchaient de trop près pour que j’aie pu trouver le calme indispensable à la production littéraire. Le coup a été assez rude pour nous. Quand on a eu, dans un pays, des centaines de milliers — je peux dire même des millions — de lecteurs, il est pénible d’être soudain privé de ce contact vivant. Et je n’ai pas honte de dire que j’ai cruellement souffert des mesures prises en Allemagne contre moi. D’ailleurs, pourquoi en avoir honte ?... Nous qui avions vécu spirituellement pendant des dizaines d’années dans la littérature allemande, et avec le public allemand, nous ne devons pas craindre d’avouer que cette subite division nous a profondément touché. (...) Celui qui est banni eu Allemagne n'a donc plus, en dernier ressort, qu’un refuge : celui de la littérature universelle, par des traductions."

Le journaliste de L'Intransigeant décrit alors Stefan Zweig se levant soudain, visiblement bouleversé :

"Mais il vaut mieux être supprimé plutôt que d’acheter la permission de paraître en faisant des concessions morales. Je n’ai jamais été membre d’un parti, d’un groupe, ni d’un gouvernement. J’ai refusé tout titre, décoration, honneur, pendant toute ma vie. Je n’ai jamais mis les pieds dans un ministère ni dans une ambassade. Je n’assiste pas aux banquets, aux cérémonies officielles et — on le sait aussi à Paris — je ne me montre jamais en public. Mais cette indépendance morale, je la garderai contre toute puissance gouvernementale du monde, et je suis prêt à tout lui sacrifier."

Des mots qui résonnent d'autant plus que Stefan Zweig fuira définitivement l'Europe et la montée du fascisme trois ans après cette interview. Moralement épuisé, désespéré par l'entrée en guerre des Etats-Unis, il se suicidera au Brésil avec sa femme en 1942.