Écho de presse

Le Figaro et la naissance du Futurisme

le 02/12/2019 par Pierre Ancery
le 01/09/2016 par Pierre Ancery - modifié le 02/12/2019

C'est dans le quotidien français qu'est paru pour la première fois, en 1909, le célèbre Manifeste signé Marinetti.

Le 20 février 1909 paraît en une du Figaro cet avertissement :

 

"M. Marinetti, le jeune poète italien et français, au talent remarquable et fougueux, que de retentissantes manifestations ont fait connaître, dans tous les pays latins, suivi d'une pléiade d'enthousiastes disciples, vient de fonder l’École du « Futurisme » dont les théories dépassent en hardiesse toutes celles des écoles antérieures ou contemporaines. Le Figaro, qui a déjà servi de tribune à plusieurs d'entre elles, et non des moindres, offre aujourd'hui à ses lecteurs le manifeste des « Futuristes ». Est-il besoin de dire que nous laissons au signataire toute la responsabilité de ses idées singulièrement audacieuses et d'une outrance, souvent injuste pour des choses éminemment respectables et, heureusement, partout respectées ?"

 

C'est en effet dans Le Figaro qu'est paru pour la première fois le célèbre Manifeste du futurisme de Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944). Cet écrivain italien, né à Alexandrie en Égypte, qui fit ses études supérieures chez les jésuites à Paris, ville où il publia ensuite divers poèmes et pièces de théâtre, s'était déjà fait remarquer avec sa revue Poesia. Mais il signait avec ce texte, qui allait le rendre célèbre, la véritable naissance des avant-gardes artistiques du XXe siècle.

 

D'abord rédigé sous la forme d'un tract que Marinetti envoya à ses amis et à la presse italienne, puis au monde entier, le Manifeste publié dans Le Figaro se distingue par la présence d'un prologue. En voici le début :

 

"Nous avions veillé toute la nuit, mes amis et moi, sous des lampes de mosquée dont les coupoles de cuivre aussi ajourées que notre âme avaient pourtant des cœurs électriques. Et tout en piétinant notre native paresse sur d'opulents tapis persans, nous avions discuté aux frontières extrêmes de la logique et griffé le papier de démentes écritures.

Un immense orgueil gonflait nos poitrines à nous sentir debout tous seuls, comme des phares ou comme des sentinelles avancées, face à l'armée des étoiles ennemies, qui campent dans leurs bivouacs célestes. Seuls avec les mécaniciens dans les infernales chaufferies des grands navires, seuls avec les noirs fantômes qui fourragent dans le ventre rouge des locomotives affolées, seuls avec les ivrognes battant des ailes contre les murs !"

 

Dans la suite du texte, Marinetti raconte comment un accident de voiture, qui le fit se retrouver au fond d'un fossé, fit office d'illumination et lui inspira ses « premières volontés ». Puis commence le Manifeste proprement dit, organisé en 11 points qui sont autant de mots d'ordre :

 

"1. Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité.

2. Les éléments essentiels de notre poésie seront le courage, l'audace et la révolte.

3. La littérature ayant jusqu'ici magnifié l'immobilité pensive, l'extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.

4. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux, tels des serpents à l'haleine explosive... une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace. [...]"

 

Vitesse, violence, modernité : tel est le programme du futurisme, qui rejette la tradition esthétique, prône l'amour de la machine et exalte la civilisation urbaine. Le mouvement essaimera d'abord en Italie, avec par exemple le peintre Umberto Boccioni, mais aussi en Russie avec le mouvement « Valet de carreau » (Maïakovski, Malevitch...). Le futurisme touche tous les arts : peinture, sculpture, poésie, cinéma, etc., et même la cuisine ou la céramique.

 

Marinetti, qui conclut à la nécessité de la violence pour débarrasser l'Italie du culte du passé, ira jusqu'à parler de la guerre comme « seule hygiène du monde » et soutiendra le régime fasciste (qui s'attaquera pourtant à l'art « dégénéré » défendu par l'écrivain). Il rédigera encore plusieurs manifestes. Retiré en 1942 au lac de Côme en raison d'une grave maladie, il y meurt en 1944.