Le 28 décembre 1895, les frères Lumière organisent à Paris la première projection cinématographique. La presse et le public s'enthousiasment.
"Le cinématographe est aujourd'hui visible sur le boulevard des Capucines, nous engageons vivement nos lecteurs à s’offrir un spectacle bien supérieur au kinétoscope, et d'où ils sortiront émerveillés", conseille Le Gaulois à ses lecteurs, tandis que Le Monde illustré parie sur l'avenir radieux du cinéma :
"L'objet de l'appareil est de reproduire la vie, le mouvement, avec toutes leurs apparences : la rue qui s'agite, l'ouvrier qui travaille, l'enfant qui sourit, le bicycliste qui passe, la cigarette aux lèvres et les mains sur les hanches. Le but est atteint, et les sciences recueilleront le plus grand profit de l'application du cinématographe à l'enregistrement des phases successives des divers phénomènes.
Vulgarisé, le cinématographe donne le portrait enfin vivant, au lieu de ces languissantes et froides images qui ne sont jamais ressemblantes quand elles prétendent représenter les grâces mobiles et charmeresses de certains êtres."
À l'occasion du trentième anniversaire du cinématographe en 1925, alors qu'une plaque est inaugurée à l'emplacement du Grand Café où les frères Lumière ont donné la première représentation, Paris-Soir revient sur les débuts de "la merveilleuse machine" et rend un vibrant hommage à la puissance du cinéma :
"Qui aurait pu, en effet, supposer que ce jouet scientifique, surprenant par sa nouveauté, serait appelé à intervenir un jour, puissamment, dans la vie des peuples aussi bien pour constituer une attraction, un spectacle, que pour faire connaître, pour rapprocher, grâce à l'image fidèle et animée de leurs paysages, de leurs mœurs, les nations les plus éloignées les unes des autres ?
Qui aurait pu prédire que de grandes Compagnies, disposant de capitaux considérables, se formeraient dans chaque pays, qu'une industrie prospère, rivalisant avec les industries existantes, les dépassant parfois, occuperait des milliers d'artisans, ferait jaillir du sol d'importantes usines, d'innombrables ateliers, grouperait des troupes chaque jour plus fortes d'artistes, de photographes, d'opérateurs, appellerait à son service des architectes, des peintres, des décorateurs et deviendrait, par l'étendue même de son développement, une des sources de richesses qui alimentent la fortune publique ?
Une industrie et un art : le Cinéma réalise ce prodige d'être les deux à la fois."
Pourtant, de vives critiques s'élèvent déjà contre les grosses productions américaines qui dominent le marché du septième art. L'Ouest-Éclair écrit :
"Le monstre que, dans leur candeur, ils [les frères Lumière] nous ont légué, c'est surtout le film américain... Ce bâtard, c'est l'abomination de la désolation, en je ne sais combien d'épisodes... C'est le maboulisme d'outre-atlantique mis en pièces qui ne devraient pas avoir cours chez nous, ne serait-ce qu'à cause du change.
Quel statisticien évaluera le nombre de jeunes gens et de jeunes filles dont la cervelle est tourneboulée par les kilomètres de films abracadabrants importés de New York ?"
Ecrit par
Marina Bellot est journaliste indépendante, diplômée de l'Ecole de journalisme de Sciences Po. Elle a co-fondé en 2009 Megalopolis, un magazine d'enquêtes et de reportages sur la métropole parisienne, qu'elle a dirigé pendant trois ans. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages pédagogiques à destination des adolescents et a co-écrit une biographie de Jean-François Bizot, L'Inclassable, parue chez Fayard en 2017.