Écho de presse

Vermeer au Jeu de Paume

le 29/05/2018 par Pierre Ancery
le 14/03/2017 par Pierre Ancery - modifié le 29/05/2018
Image : L'Écho de Paris du 24/04/1921 - source Gallica BnF

En 1921, une exposition consacrée aux peintres hollandais révèle au public parisien le génie de Vermeer.

Les amateurs de Proust connaissent bien cette scène d'À la recherche du temps perdu [voir l'archive] : l'écrivain Bergotte se rend à une exposition consacrée au peintre hollandais Vermeer (1632-1675) et, devant la Vue de Delft et son "petit pan de mur jaune", s'effondre, victime d'une crise cardiaque.

 

L'épisode est inspiré d'une anecdote réellement vécue par Proust, qui en 1921 fit une violente crise d'asthme devant le même tableau. La scène eut lieu au beau milieu du musée du Jeu de Paume, à Paris, où se tenait une "exposition hollandaise" réunissant les œuvres des plus grands maîtres. Celle-ci avait alors rencontré un grand succès auprès du public et des critiques.

 

L'Écho de Paris du 22 avril 1921 écrit ainsi :

 

"Quinze peintures et quarante-quatre dessins de Rembrandt, trois Vermeer, quatre Jan Steen, cinq Frans Hals […], telles sont, parmi beaucoup d'autres, quelques-unes des richesses qui composent l'exposition hollandaise."

 

La presse s'intéresse aux œuvres de Rembrandt, bien sûr, mais les trois tableaux de Vermeer (La Cuisinière, La Vue de Delft et La Tête de jeune fille) font également grande impression. Le peintre originaire de Delft, à cette époque, est encore assez mal connu : cette exposition contribuera à asseoir sa gloire en France.

 

Le 23 avril, dans un grand édito, L'Action française, sous la plume de Léon Daudet, tresse les louanges de Vermeer :

 

"Il peint des femmes, en douillettes bleues ou blanches, devant des miroirs, auprès d'un clavecin, et il se distingue de tous les maîtres, même excellents [...] par un au-delà de l'exactitude, à force d'exactitude, qui donne l'impression d'un mirage superposé à sa réalité. L'œuvre ne commence ni ne finit comme les situations recluses et tranquilles qu'elle représente. Elle est suspendue entre l'espace et le temps. On peut la regarder, la contempler, s'abstraire devant elle, sans jamais épuiser le plaisir de compréhension intime qu'elle procure. C'est l'art de la confidence et du secret."

 

Dans L'Écho de Paris du 24 avril, c'est le critique et historien d'art Jean-Louis Vaudoyer (on lui doit l'anecdote sur Proust : il était avec lui lors de sa crise d'asthme) qui s'extasie.

 

"Enfin le grand Vermeer de Delft, un des plus grands peintres qui aient jamais existé, avec trois toiles qui, à elles seules, valent qu'on aille et qu'on retourne au Jeu de Paume […]. Allez voir la Vue de Delft, et dites-moi si jamais on a dégagé tant de grandeur et de force d'un spectacle humble et banal ; regardez aussi la Tête de jeune fille ; certains abandonneraient pour elle tous les Rembrandt qui sont ici. Le génie de Vermeer, c'est d'avoir donné une âme à la couleur. […] Vermeer transfigure la matière, et, par lui, l'invisible du réel vous apparaît."

 

Quant au Matin du 28 avril, il parle carrément à propos de la Tête de jeune fille de "Joconde hollandaise". Mais c'est sans doute le grand critique Élie Faure qui, cité dans Le Populaire du 13 mai, se montre le plus dithyrambique :

 

"On n'a pas pénétré plus avant dans l'intimité de la matière. […] Vermeer de Delft résume la Hollande. Il a, des Hollandais, toutes les qualités moyennes ramassées en un seul faisceau et élevées à la puissance suprême d'un seul coup. Cet homme, qui est le plus grand maître de la matière peinte, n'a aucune imagination. Il n'a pas de désirs allant au-delà de ce que sa main peut toucher. Il a accepté la vie totalement. Il la constate."

 

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