Écho de presse

« La Grande illusion », immense ode à la fraternité

le 28/05/2018 par Pierre Ancery
le 08/12/2017 par Pierre Ancery - modifié le 28/05/2018
La Grande Illusion, Le Petit Journal, 18 juin 1937 - source : RetroNews BnF

Le chef-d’œuvre pacifiste de Jean Renoir, sorti en 1937, eut un immense succès critique et public en France, mais fut interdit en Allemagne et en Italie.

C'est en 1937 que sort le film qui, avec La Règle du jeu, est aujourd'hui considéré comme le chef-d’œuvre de Jean Renoir. La critique comme le public français de l'époque ne s'y tromperont pas, faisant un triomphe à La Grande Illusion, grand film humaniste et pacifiste porté par la prestation inoubliable de ses trois stars, Jean Gabin, Pierre Fresnay et Erich von Stroheim.

 

Le film se déroule en 1916, pendant la Première Guerre mondiale, dans une forteresse en Allemagne où sont faits prisonniers le lieutenant Maréchal (Gabin) et le capitaine Boiëldieu (Fresnay). Boiëldieu va se lier d'amitié avec le maître des lieux, le capitaine Von Rauffenstein (Von Stroheim), aristocrate comme lui. Parallèlement, un plan d'évasion se prépare...

 

Lors de la sortie, Le Petit Journal encense le film :

 

« La Grande Illusion est le plus beau film qui soit né en France depuis longtemps, […] le plus beau par la générosité de son inspiration, la sûreté et la simplicité de sa réalisation, la vérité de son interprétation. »

 

Tout comme L'Ouest-Éclair, qui insiste sur les qualités humaines d'un film qui exalte la fraternité entre les peuples et donne la parole à tout le monde :

 

« Une action qui, dès le début, vous empoigne et ne vous lâche plus [...]. La Grande Illusion restera un chef-d’œuvre de l'écran […] parce qu'il est avant tout humain, parce qu'il est un magnifique monument à la paix, à la compréhension mutuelle des peuples et des races. »

 

L'Humanité salue elle aussi l'audace et la maîtrise de Jean Renoir :

 

« Le sujet que Jean Renoir a choisi cette fois-ci est un des plus beaux qui soient ; c'était aussi un des plus périlleux à tous points de vue. De plus en plus le cinéma s'est éloigné des conflits élevés, de plus en plus il s'est attaqué à de gros drames aux effets faciles. Et voici que l'auteur […] vient nous proposer un sujet où tout est traité sur le plan le plus haut [...].

 

On sent la qualité d'émotion qui se dégage d'un tel film où tout a été traité avec une honnêteté et une franchise remarquables. Jean Renoir n'a fait aucune concession. Il a tout abordé bien en face sans se soucier d'autre chose que de Vérité. Ce film d'hommes, il l'a traité en homme, en homme aux élans sûrs et directs, en homme qui ne craint pas d'être mal compris parce qu'il est lui-même sans équivoque. »

 

Le Populaire encense le réalisateur comme les acteurs :

 

« Jean Renoir a eu un prix pour les Bas-Fonds. Disons-lui que la Grande Illusion, qu'il a dirigée avec tant de goût, de délicatesse et de force, peut ne pas obtenir de prix. Elle n'en a pas besoin, car c'est un film de grande valeur. Les interprètes ? C'est la perfection. Eric von Stroheim ne doit pas regretter d'avoir quitté quelque temps l'Amérique. Il est un acteur unique et son Rauffenstein est une création énorme. Pierre Fresnay est un parfait Boëldieu, tout comme Jean Gabin joue Maréchal avec un naturel captivant. »

 

Tandis que Ce Soir laisse la parole à Jean Gabin, qui parle de son ami Jean Renoir en des termes émouvants :

 

« J'aime le Cinéma et j'aime la vie.

C'est pourquoi j'aime les films de Renoir.

Évidemment, dans les corporations, il fait un peu figure d'enfant terrible. Quand on lui parle “commerce”, il ne comprend pas. Il ne craint personne, il n'a pas la courbette facile, et les gloires consacrées ne l'impressionnent pas. Il est, dans le monde du cinéma, cet être d'exception : le Monsieur-qui-dit-ce-qu'il-pense [...].

Tel est Jean Renoir, qui fait de beaux films aussi naturellement que son père faisait de beaux tableaux. »

 

Le film sera interdit en Allemagne et en Italie. Interviewé sur le sujet par Ce soir, Jean Renoir répond avec humour :

 

« M. Mussolini admet fort bien qu'on le traite de bandit et d'assassin. Ses fidèles, eux non plus, n'y voient pas d'inconvénient. Mais le Duce se fâche tout rouge quand on dit que son ventre bombé est moins photogénique qu'il ne l'imagine, qu'il porte des chapeaux ridicules et qu'il ne sait pas s'habiller. Cela, j'ai eu l'imprudence, que je ne regrette pas, de l'écrire dans Ce soir en donnant à M. Mussolini le conseil de recourir aux bons offices du tailleur du duc de Windsor. »

 

La Grande Illusion battra tous les records de fréquentation en France, avec 1,55 millions de francs de recette en quatre semaines et 200 000 spectateurs en deux mois dans une seule salle. Il est aujourd'hui régulièrement cité parmi les dix plus grands films français de tous les temps.