Écho de presse

Le suicide de Virginia Woolf

le 10/06/2022 par Michèle Pedinielli
le 24/04/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 10/06/2022
Photo de la romancière Virginia Woolf en 1927 - source : Harvard University-WikiCommons

En mars 1941, la grande romancière anglaise Virginia Woolf met fin à ses jours en se noyant dans la rivière Ouse. La presse française déplore la mort de cet « écrivain du vertige ».

En ce mois d’avril 1941, les informations venant d’Angleterre font essentiellement état des bombardements sur Londres par l’aviation allemande selon la politique du blitz (la guerre éclair d’Hitler) et de black-out dans les villes.

Au milieu de ces articles sur les attaques outre-Manche, une nouvelle inquiète les lecteurs amateurs de Virginia Woolf : on est sans nouvelle de la grande romancière depuis plusieurs jours.

« Mrs. Virginia Woolf, romancière et essayiste anglaise bien connue, a disparu depuis plusieurs jours de sa maison de campagne du Sussex.

Le mari de la romancière et sa famille pensent que Mrs Woolf s'est noyée à la suite d'un accident. La rivière au bord de laquelle est située la maison de campagne de la disparue a cependant été sondée sans résultats. »

Cette courte dépêche de l’organe royaliste L’Action française est suivie quelques jours plus tard par l’annonce officielle de son décès.

Le corps de Virginia Woolf a en effet été retrouvé dans la rivière Ouse qui borde Monk’s House, son cottage du Sussex de l’Est. Le Journal des débats politiques et littéraires s’en fait l’écho et lui rend hommage.

« Une dépêche de Londres annonce la mort de la romancière bien connue Virginia Woolf.

Née en 1892, femme du fondateur de l'Hogarth Press, Virginia Woolf publia ses premiers romans dans les journaux placés sous la direction de son mari.

Le premier parut en 1915 sous le titre de “The Voyage Out”. Vinrent ensuite des œuvres d'une vive imagination étayée sur une psychologie minutieuse : “Night and Day”, “Jacobs Room” (1922), “Mrs Dalloway”, “Orlando”, etc...

On doit encore à Virginia Woolf des essais critiques et des nouvelles. »

Ce que pressentent déjà certains journaux, c’est que la mort de Virginia Woolf ne doit cependant rien à un accident.

« La poétesse et romancière anglaise Virginia Woolf vient de mourir.

Elle habitait Lewes, près de Brighton, et elle avait toujours refusé d'obéir aux ordres d'évacuation, malgré les bombardements aériens fréquents de cette région par l'aviation allemande.

Le bruit court qu'elle s'est suicidée en se jetant dans les eaux de l'Ouse, rivière voisine de Lewes. »

On apprendra plus tard que le 28 mars au matin, elle a empli minutieusement ses poches de cailloux et est entrée, déterminée, dans la rivière Ouse. Elle a marché jusqu’à perdre pied et couler. Le courant l’emporte et son corps ne sera retrouvé que deux semaines plus tard.

« Femme d’un talent remarquable » pour La Petite Gironde, Virginia Woolf était une écrivaine absolue et hors normes.

Féministe, son essai Une chambre à soi sur la place des femmes dans la littérature est toujours une référence aujourd’hui. Bisexuelle (elle vit une vraie passion avec la poète Vita Sackville-West), elle est néanmoins mariée « avec un grand plaisir » à Leonard Woolf avec qui elle fonde les éditions Hogarth Press. Prolixe, elle écrit dix romans, cinq recueils de nouvelles et une vingtaine d’essais (dont plusieurs seront édités après sa mort par son mari).

Son travail est centré autour du temps et de l’esprit humain. Lorsque paraît l’un de ses chefs-d’œuvre, Mrs Dalloway, elle écrit :

« Examinez, dit-elle, un esprit ordinaire en un jour ordinaire.

L'esprit reçoit une myriade d'impressions banales, fantasques, évanescentes ou gravées avec la netteté de l'acier. Elles arrivent de tous côtés, incessante pluie d'innombrables atomes. Et à mesure qu'elles tombent, à mesure qu'elles se réunissent pour former la vie de lundi, la vie de mardi, l'accent se place différemment ; le moment important n'est plus ici, mais là...

Est-ce que la tâche du romancier n'est pas de saisir cet esprit changeant, inconnu, mal défini, les aberrations ou les complexités qu'il peut présenter, avec aussi peu de mélange des faits extérieurs qu'il sera possible ?

Nous ne plaidons pas seulement pour le courage et la sincérité, nous essayons de faire comprendre que la vraie matière du roman est un peu différente de celle que la convention nous a habitués à considérer. »

Entièrement tendue vers une quête de perfection artistique, Virginia Woolf est régulièrement accablée par des dépressions qui la paralysent. Chaque œuvre devient une épreuve pour cet « écrivain du vertige » comme la définit Le Temps.

« M. Lehmann ajoute que la création de tels chefs-d’œuvre exigeait de Virginia Woolf une tension terrible :

“Lorsqu’un roman approchait de son achèvement, elle était parfois obligée de l’abandonner complètement... De s’en écarter ou de se reposer en se consacrant à des travaux moins absorbants.”

Le désespoir et la hantise, l’insatisfaction, qui se retrouvent chez ses personnages n’étaient pas étrangers à Virginia Woolf. Et peu après avoir écrit “Entre les actes”, épuisée par l’effort, redoutant la folie, elle se noya volontairement.

La tension de son être à la recherche de la perfection esthétique avait rompu l'équilibre de ses forces et le “vertige”, selon le mot de M. Fouchet, qui l'attirait au-delà des apparences, l’avait finalement emportée. »

En toute lucidité, elle a mis fin à cette tension permanente qu’elle ne supportait plus et qu’elle sentait ne plus pouvoir maîtriser.

Avant d’entrer résolument dans le lit de la rivière, elle écrit une dernière lettre à son mari Leonard :

« Mon chéri, J’ai la certitude que je vais devenir folle à nouveau : je sens que nous ne pourrons pas supporter une nouvelle fois l’une de ces horribles périodes. Et je  sens que je ne m’en remettrai pas cette fois-ci. […]

Tu m’as donné le plus grand bonheur possible. Tu as été pour moi ce que personne d’autre n’aurait pu être. […]

Si quelqu’un avait pu me sauver, cela aurait été toi. Je ne sais plus rien si ce n’est la certitude de ta bonté. Je ne peux pas continuer à gâcher ta vie plus longtemps. Je ne pense pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l’avons été. »

L’œuvre déterminante de Virginia Woolf reste une référence dans la littérature mondiale.