Écho de presse

Henry de Monfreid, le corsaire magnifique de la mer Rouge

le 17/08/2019 par Marina Bellot
le 30/11/2018 par Marina Bellot - modifié le 17/08/2019
Henry de Monfreid (au premier plan) sur le pont du bateau le Massabieh, Paris-Soir, 15 mars 1935 - source : RetroNews-BnF
Henry de Monfreid (au premier plan) sur le pont du bateau le Massabieh, Paris-Soir, 15 mars 1935 - source : RetroNews-BnF

Navigateur, contrebandier, écrivain, poète, journaliste... Henry de Monfreid, encouragé par Joseph Kessel, a laissé à la postérité une œuvre prolixe inspirée de sa vie aventureuse dans la Corne de l'Afrique.

Henry de Monfreid (1879-1974) a trente-deux ans lorsque l'appel de la mer le fait quitter la France pour le jeter dans le tourbillon d'une vie d'aventures.

Un autre aventurier, l'écrivain et journaliste, Joseph Kessel résumera ainsi le début de son existence : 

« De famille catalane, fils du comte Daniel de Monfreid, peintre et voyageur, ami de Gauguin, Henry de Monfreid débuta mal.

Il fut refusé à Polytechnique et se ruina dans des affaires et des amours médiocres.

Sans un sou, le cœur vide, il s'embarqua il y a vingt ans pour l'Abyssinie, sur la foi de vagues renseignements où il était question de commerce de café. Il avait alors dépassé la trentaine. Il considérait que sa vie était achevée. Elle commença. »

La mer Rouge devient son terrain d’aventure.

Il y entame une vie de contrebandier, s’essayant à tous les trafics : perles, armes, haschich et même morphine, qu'il revend aux riches Égyptiens, ce qui lui vaut plusieurs séjours en prison.

Avant même la parution de ses deux premiers romans, Secrets de la mer Rouge et Aventures de mer (1931 et 1932), le futur écrivain est déjà une légende.

En 1930, Joseph Kessel, venu enquêter sur les marchés d’esclaves d’Éthiopie, rencontre Monfreid, pour lequel il ne cache pas son admiration, et lui recommande de prendre la plume – plus tard, celui-ci racontera son entrevue avec Kessel :

« Un jour, un romancier français, qui faisait une enquête sur l’Ethiopie, vint me demander quelques renseignements.

Je lui remis toute ma paperasse en lui disant : Si ça vous chante, faites-en un bouquin”​.

Mais il eut la délicatesse de me répondre : “Essayez d’abord vous-même. Vous avez une mine sous la main. Elle vous appartient”​ ».

Suivant la recommandation de Kessel, Henry de Monfreid met alors en scène les aventures dont il est le héros.

Ses récits trépidants et hauts en couleurs remportent un franc succès dans les années 1930. La presse, unanime, est fascinée par la personnalité de ce personnage qui semble lui-même tout droit sorti d’un roman épique – chez Hergé, dans Les Cigares du pharaon, on voit d'ailleurs un personnage largement inspiré de Monfreid abandonner sa cargaison de fusils pour sauver Tintin de la noyade.

Il est un « écrivain », un « poète » et un « aventurier de haute allure », écrit Le Figaro lors de la parution de ses Secrets de la mer Rouge :

« Ces secrets, il nous en fait part dans un livre qui est la première partie du récit de la vie aventureuse que mena ce Français de bonne race attiré et fixé loin de son pays par le goût de l'action et la passion de l'indépendance.

Ce goût et cette passion, M. Henry de Monfreid trouva largement l'occasion de les satisfaire dans la région qu'il choisit pour y développer ses qualités d'audace, d'énergie et d'endurance, pour y vivre la belle et dure existence qu'il nous conte en des pages souvent admirables de couleur et de mouvement et qui attestent chez l'aventurier de haute allure qu'est M. Henry de Monfreid un écrivain et un poète. »

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Son second roman, Aventures de mer, paraît seulement un an après le premier – et rencontre le même immense succès.

Pour donner à voir l'étendue de son talent de conteur, le journal socialiste Le Populaire en publie un extrait, dans lequel Monfreid raconte comment il dut gagner sa vie en tant que scaphandrier :

«  Les gens qui n'ont jamais revêtu un scaphandre ne peuvent imaginer l'étrange impression que produit cet ensevelissement conscient comme je l'ai éprouvé à mon premier essai.

[...] Là, dans ce grand sac où sont suspendus plus de quatre-vingts kilogrammes de plomb, le pauvre être humain devient prisonnier de cette puissance qui règle la marche de l'Univers.

Puis le casque de bronze est vissé sur ses épaules, la glace est encore ouverte. Mais quand elle se ferme, alors il est séparé du monde : tous les bruits de la vie extérieure cessent brusquement. Seul le rythme de la pompe semble compter le temps et la vie. D'où vient ce bruit maintenant maître de son existence ? Il est partout, dans ses oreilles, dans sa poitrine, il a remplacé les battements de son cœur...

Autour de lui, derrière les glaces, les autres hommes sont devenus muets ; ils font des gestes, ouvrent la bouche, mais il n'entend rien. Ce ne sont plus que les fantômes d'un monde qu'il va quitter. »

Lors de ses brefs passages en France, Monfreid se prête au jeu des interviews, nombreuses, pour lesquelles les journalistes parisiens le sollicitent, comme Jean Couvreur du Journal, qui se gausse de rencontrer le « corsaire en pantoufles »​ dans sa demeure cossue de Neuilly :

«  – Vous habitez Paris ?

– Un mois par an. C'est bien assez. je ne vis à mon aise que dans mon domaine du Harrar, en Abyssinie. [...] Cette année, je suis venu exprès pour corriger les épreuves de mon troisième livre : Croisières du haschich

– C'est un titre qui en dit long. Mais après sa cure de repos, ou de sagesse, en France, j'imagine que le corsaire, chez vous, reprend ses droits et que vous ne regagnez la côte des somalis que pour ajouter quelques chapitres à votre étonnante histoire ?

– Comme vous y allez ! La réalité est plus prosaïque. Je m'en reviens tout bonnement diriger ma centrale électrique, car j'ai une usine et des ouvriers à Djibouti. »

Et le journaliste, admiratif, de commenter avec emphase :

Quel curieux homme ! À quelle race, à quelle époque le rattacher ? Comme s'il devinait ce que je pense, il me dit :

– Je suis un anachronisme.

Un anachronisme ? Attention ! Cet Ulysse à moustache, au long profil de médaille, n'est pas précisément d'hier, il est d'aujourd'hui. Il est de demain. Le seul fait que Monfreid existe prouve que notre siècle ne pouvait se passer de lui.

D'autres, plus tard, recueilleront son héritage, qui, s'ils ne doivent pas, comme lui, arracher aux mers leurs trésors et leurs secrets, poursuivront ailleurs l'héroïque aventure. »

Fort de ses multiples expériences et de sa connaissance de « l'Arabie » (la Corne de l'Afrique et la péninsule arabique), Monfreid devient également correspondant de presse, notamment pour Paris-Soir, qui le surnomme le « Balzac de l’aventure ».

Lors de la seconde guerre italo-éthiopienne, Monfreid multiplie les reportages inédits, parfois au péril de sa vie. En 1935, il raconte, non sans emphase :

« Je reçois un télégramme impératif de Paris-Soir :

Il faut partir pour l'Erythrée, aller à la frontière éthiopienne, tout de suite, et cibler des nouvelles !

Partir pour Massawa ! [...] Mon voilier ? Mais il est là couché sur le flanc, à même le sable d'Obok, en réparation, le ventre ouvert.

Que faire ? Tant pis, je vais encore tenter ma chance sur la seule unité qui me reste, une petite embarcation non pontée de 5 mètres de long.

Entreprendre avec ça un voyage de 400 milles par temps de mousson, est quelque chose de plus que de l'imprudence. Mais après tout mon étoile peut-être n'est-elle pas éteinte et puis je sais que la prudence est souvent pleine de dangers. Le principal est d'avoir foi en la réussite. »

Monfreid ne s'en cache pas : il soutient les velléités expansionnistes de l'Italie fasciste. En 1942, après la débâcle de Mussolini en Éthiopie, il est déporté au Kenya par les troupes britanniques, avec les prisonniers italiens, dans d'atroces conditions. Libéré, il vit de chasse et de pêche sur les pentes du mont Kenya, épisode qui lui donnera la matière de son roman Karembo.

De retour en France en 1947, il s'installe dans un petit village de l'Indre, où il peint, joue du piano et, surtout, écrit.

À 79 ans, il se lancera dans un dernier périple avec son fils, qui le mènera de l'île de La Réunion jusqu'à Madagascar. Il le racontera, la même année, dans Mon Aventure à l'île des Forbans.

Henry de Monfreid mourra dans son sommeil, à 95 ans, laissant à la postérité une œuvre foisonnante de plus de 70 romans.

Pour en savoir plus : 

Henry de Monfreid, La Trilogie du hachich, Grasset, 2015 (rééd.)

Daniel Grandclément, L'Incroyable Henry de Monfreid, Grasset, 1998 (rééd.)

Julien Hage, « Les littératures francophones d'Afrique noire à la conquête de l'édition française (1914-1974) », in: Gradhiva, 2009, via Musée du Quai Branly