Écho de presse

Visions du Moyen Âge : l'histoire de la restauration de Notre-Dame

le 25/07/2022 par Pierre Ancery
le 17/04/2019 par Pierre Ancery - modifié le 25/07/2022
Notre-Dame de Paris, dessin de Hamilton, 1827 - source : Gallica-BnF
Notre-Dame de Paris, dessin de Hamilton, 1827 - source : Gallica-BnF

Au début du XIXe siècle, la cathédrale parisienne est délabrée. Le pouvoir décide de la restaurer et confie les travaux à deux architectes, Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Lassus. Le résultat, souvent admiré à l'époque, deviendra plus tard très controversé.

Pour la troisième année consécutive, la Bibliothèque parlante investit le site François-Mitterrand. À l’occasion de son festival annuel, les 25 et 26 mai 2019, la BnF ouvre grand ses portes pour un week-end de lectures, performances et spectacles. Le week-end sera inauguré, le vendredi 24 mai, par une soirée littéraire consacrée à Notre-Dame de Paris.

À l’honneur de la soirée inaugurale du Festival de la BnF 2019, le manuscrit de Notre-Dame de Paris sera présenté les 25 et 26 mai à la Bibliothèque nationale de France. Nous vous invitons à cette occasion à en découvrir les secrets.

 

1831. Victor Hugo publie Notre-Dame de Paris, un roman spectaculaire qui remet dans la lumière la célèbre cathédrale parisienne. Celle-ci se trouve alors dans un état de délabrement tel que la question de sa restauration va bientôt se poser de façon pressante.

 

En 1839, la monarchiste Gazette nationale dresse ainsi l'inventaire des modifications successives qui ont affecté l'édifice depuis sa construction, débutée au XIIe siècle. Et dénonce l'état d'abandon du monument :

« Allez donc voir Notre-Dame de Paris ; allez admirer sa massive et magnifique façade bâtie par Philippe-Auguste, déshonorée sous Louis XV par Soufflot, qui a détruit le pilier et une partie du fronton du portail, en 1793 par les iconoclastes révolutionnaires [...] ; et déplorez la barbarie des siècles policés qui ont [...] travesti le chœur d’une manière si inconcevable, qui ont arraché les vitraux peints, dont la beauté des roses conservées fera regretter à jamais la destruction, qui engluent périodiquement d’un grossier badigeon la pierre, le bois et le fer ; car il n'y a rien de sacré pour quiconque est possédé de la manie incurable du badigeonnage.

 

Il est temps en effet que le Gouvernement prenne des mesures sérieuses pour rendre à la sainte et noble basilique, autant que le mal consommé pourra le permettre, son ancien caractère, sa beauté sévère, et ajoutons un peu du lustre dont la cathédrale de Paris ne peut être privée sans une grave inconvenance. »

Archives de presse

La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939

Reportages, photo-journalisme, interviews et tribunes publiés à la une à découvrir dans une collection de journaux d'époque réimprimés en intégralité.

En savoir plus

Pour à peu près tous les observateurs, l'affaire est entendue : la cathédrale décrépite doit être restaurée. Le pouvoir de la monarchie de Juillet l'entend aussi de cette façon, lui qui veut rénover le patrimoine médiéval français et a créé à cet effet, en octobre 1830, un poste d'inspecteur général des monuments historiques.

 

Mais à qui confier ce travail délicat ? Un concours est ouvert, dont le résultat est annoncé fin 1843 : « On sait que le conseil des bâtiments civils a classé les trois projets qui lui ont été soumis, écrit Le Journal des débats politiques et littéraires, et qu'il a mis en première ligne celui de MM. Lassus et Viollet-le-Duc ».

 

Les jeunes architectes Jean-Baptiste Antoine Lassus (1807-1857) et Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) sont donc désignés. C'est le nom du second qui restera dans l'Histoire, lui qui, à seulement 26 ans, s'est fait remarquer en rénovant la basilique de Vézelay.

Mais il faut d'abord voter les crédits : le Garde des sceaux de l'époque, Nicolas Martin du Nord (également ministre des Cultes), demande 2,65 millions de francs pour la restauration du monument et la construction d'une sacristie. En mai 1845, il justifie cette somme importante devant les députés :

« Messieurs, la cathédrale de Paris, l’une des créations les plus remarquables du moyen-âge en France, l’une des plus intéressantes au point de vue de l’art et des souvenirs historiques, a gravement souffert des injures du temps et de l’action inintelligente, non moins désastreuse, par conséquent, de la main des hommes [...].

 

À l’extérieur, quand, après avoir embrassé le magnifique ensemble du monument, l’œil avide en interroge les détails [...], il ne découvre plus sur ces façades, toujours sublimes dans leur merveilleuse projection, que des parois rongés par les siècles, des clochetons croulant ou tronqués, des imageries mutilées, des galeries aux dentelures légères, rompues, brisées, presque détruites, la décrépitude partout, partout l’aspeet inerte et muet d’une ruine, imposante encore, mais qui n’afflige pas moins profondément les amis éclairés des gloires nationales que les cœurs sincèrement religieux. » 

Notre-Dame de Paris en 1840, daguerréotype de Vincent Chevalier - source : WikiCommons
Notre-Dame de Paris en 1840, daguerréotype de Vincent Chevalier - source : WikiCommons

Une fois les crédits votés, les travaux, titanesques, commencent. Ils dureront jusqu'en 1865 (Lassus décédé en 1857, son compagnon reprend seul le chantier) et coûteront finalement plus de 12 millions de francs.

 

Le credo de Viollet-le-Duc, grand admirateur et spécialiste de l'architecture gothique, est de revenir à l'état médiéval du monument sans prendre en compte ses modifications postérieures. Pour ce faire, il choisit de ne pas utiliser les matériaux modernes comme le fer, préférant rester fidèle à la technique des bâtisseurs originels.

 

Au nom de la cohérence stylistique, il intervient sur le monument et recrée des sculptures, des chimères, et surtout une flèche de 93 mètres pour remplacer celle qui fut démontée au XVIIIe : mais Viollet-le-Duc s'inspire de celle de la cathédrale d'Orléans. Sur la façade, il place des statues d'Adam et d'Eve qui ne s'y sont jamais trouvées. Parmi les sculptures des douze apôtres situées à la base de la flèche, il donne son propre visage à Saint-Thomas, tourné vers le sommet, une équerre à la main.

 

Même si certaines critiques se font déjà entendre à l'époque, jugeant son travail excessif et outré, l'architecte est encensé par de nombre de ses contemporains. Le Moniteur s'enthousiasme en 1853 :

« Les deux habiles architectes, dans un rapport très-concluant et très-instructif, auquel nous venons d’emprunter les détails qui précèdent, repoussent toute idée d’initiative et d’ambition personnelle.

 

“L’artiste, disent-ils, doit s’effacer entièrement, oublier ses goûts, ses instincts, pour étudier son sujet, pour retrouver et suivre la pensée qui a présidé à l’exécution de l’œuvre qu’il veut restaurer ; car il ne s’agit pas, dans ce cas, de faire de l’art, mais seulement de se soumettre à l’art d’une époque qui n’est plus.”

 

Ils ont respecté, avec le même soin et le même scrupule, non seulement le système de construction, mais jusqu’aux matériaux employés dans les formes primitives. »

En 1879, à la mort de Viollet-le-Duc, il est célébré comme un rénovateur de génie, notamment dans Le XIXe siècle, qui écrit :

« Il a été incontestablement l'homme qui a le plus fait dans le domaine de la pratique pour réaliser les vœux des historiens et des poètes, demandant qu'on conservât et qu'on relevât les ruines du passé de la France, maintenant qu'on peut espérer que les mauvais esprits qui les hantaient ont à jamais disparu de notre sol.

 

Le nom de Viollet-le-Duc, grâce à ce rôle qu'il a joué dans une des périodes les plus actives de l'art architectonique français, demeurera à jamais dans l'histoire de cet art admirable entre tous. »

Le Temps ajoute :

« Il y a mis ce qu'on ne s'attend pas à trouver dans une restauration : du génie.

 

Il n'a pas seulement repris en sous-œuvre et remanié les constructions du moyen âge, il en a deviné l'esprit, il s'est identifié avec les architectes du douzième, du treizième siècle, il a fini par être de leur temps, par vivre de leur vie, et je crois qu'il eût pris pour des personnalités les attaques dirigées contre eux. »

L'abside de Notre-Dame, estampe de Charles Meryon, 1854 - source : Gallica-BnF
L'abside de Notre-Dame, estampe de Charles Meryon, 1854 - source : Gallica-BnF

Avec le temps, cependant, de plus en plus de critiques vont se faire entendre, reprochant à Viollet-le-Duc d'avoir recréé une cathédrale qui n'a jamais existé. Exemple en 1914, dans Le Journal des débats, qui se montre très dur à propos du travail de l'architecte (dont il sauve pourtant la fameuse flèche de 93 mètres) :

« Il me paraît impossible ici, si géniales qu'aient pu être quelques-unes de ses intuitions, de ne pas déplorer les ravages que sa fureur logique, son besoin d'unification exercèrent dans la basilique telle que les siècles l'avaient faite [...].

 

Viollet-le-Duc voulut rendre à la cathédrale de Maurice de Sully son unité ; il nous a rendu une Notre-Dame qui n'a jamais existé, à aucun moment de son histoire, telle qu'il l'a restituée, – où chaque partie de l'édifice restauré rappelle sans doute une des phases de sa construction au moyen âge mais qui est devenue sous sa main, un être de raison, dépouillé de tout le mobilier qui était sa vivante parure, réduit à une sorte de nudité que la décoration imaginée par lui ne parvient pas à réchauffer [...].

 

Il n'eut rien admis dans son implacable logique, que du treizième siècle, authentique ou refait. »

Autre exemple, Comœdia qui écrit en 1929 dans un article sur le restaurateur :

« Qui s'aviserait de compléter un tableau de maître laissé inachevé et y ajouterait une figure sous prétexte qu'une étude préalable indique sa présence, serait considéré comme faussaire. Et ce que l'on n'admet pas pour une statue, ce que l'on réprouve pour un tableau, on pourrait se le permettre pour l'œuvre par excellence. Quel contre-sens ! »

Controversée, la postérité de Viollet-le-Duc ne fut pourtant pas négligeable : ses écrits influenceront notamment l'Art nouveau et de nombreux architectes du XXe siècle.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Jean-Michel Leniaud, Notre-Dame de Paris, Editions Molière, 2009

 

Georges Poisson, Olivier Poisson, Eugène Viollet-le-Duc 1814-1879, Éditions A. & J. Picard, 2014

 

Alain Erlande-Brandenburg, Notre-Dame de Paris, Editions de la Martinière, 1997

Notre sélection de livres

Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris
Ferdinand de Guilhermy et Viollet-le-Duc
La cathédrale française au XIIIe siècle
Jeanne-Lucien Herr
Cathédrales françaises, dessinées d'après nature et lithographiées : Paris
Théodore de Jolimont
Légendes de Notre-Dame de Paris
Pauline de Grandpré