Écho de presse

1925 : Maurice Genevoix remporte le prix Goncourt

le 15/11/2020 par Antoine Jourdan
le 07/11/2019 par Antoine Jourdan - modifié le 15/11/2020
Photo de l'écrivain Maurice Genevoix parue dans Le Petit Parisien, 1925 - source : RetroNews-BnF
Photo de l'écrivain Maurice Genevoix parue dans Le Petit Parisien, 1925 - source : RetroNews-BnF

En 1925, l’écrivain Maurice Genevoix reçoit le très prestigieux prix Goncourt pour son roman Raboliot, publié la même année. Salué par l’ensemble de la presse, son élection fait toutefois grincer quelques dents.

Tous les ans depuis 1903, lorsque John-Antoine Nau avait été récompensé pour Force ennemi, les dix membres de l’académie Goncourt se réunissent autour d’un déjeuner pour décerner le Prix Goncourt à une œuvre littéraire. Le 17 décembre 1925, « les Dix » − exceptionnellement réduits à huit par le décès de Élémir Bourges et l’absence de Lucien Descaves, qui votait par correspondance − se réunissaient pour la vingt-troisième fois afin de désigner qui, des 21 prétendants, recevrait la prestigieuse récompense.

La veille déjà, Paris-soir donnait ses prédictions :

« Depuis huit jours, nos pronostiques n’ont eu guère à se modifier et il est vraisemblable que la lutte se circonscrira autour des six écrivains mentionnés plus haut. […]

Assignons-leur un ordre de préférence cette fois : Maurice Genevoix, Bernard Lecache, Gabriel Reuillard, August Bailly, Henri Deberly et Henri Pourrat. »

La boule de cristal du quotidien s’avère efficace, puisque Maurice Genevoix est annoncé gagnant par la presse du 17 décembre. Le vote n’aboutissant que lorsqu’un candidat reçoit la majorité absolue des suffrages exprimés, cinq tours ont été nécessaires pour qu’un prétendant en recueille suffisamment.

L’Homme libre donne le détail du scrutin. « Tout dépend, peut-être, du menu » poursuit Le Siècle, qui profite du fait que l’ouvrage de Genevoix raconte l’histoire d’un chasseur braconnier pour faire du repas entre membres du jury l’un des fils directeurs de son article.

« Voici donc le menu dont le maître d’hôtel nous a livré, hier soir, le secret dans l’intérêt de l’Histoire.

Hors d’œuvre
Poclouse à la Bourguignonne
Gigot d’agneau de Pauillac
Purée Bretonne
Céleri à la moelle
Mousse Nélusko
Friandises
Corbeille de fruits
Café »

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

Tandis que le jury profitait de ce copieux déjeuner, Maurice Genevoix s’était réfugié dans un restaurant voisin et attendait discrètement les résultats (Le Siècle n’a pas pensé à nous révéler la teneur de la table du primé).

À 13h, lorsqu’est annoncée sa victoire, c’est le Figaro qui lui annonce la bonne nouvelle. Le journaliste rapporte la réaction de l’écrivain :

« Aussitôt son fin visage intelligent s’anime, s’éclaire, et une grande joie se lit dans ses yeux :

“Dites bien, surtout, ma reconnaissance profonde à tous les membres du jury, à tous ceux qui ont voté pour moi comme aux autres, et en particulier à MM. Descaves, Geffroy et Hennique, qui ont toujours encouragé mon effort.” »

L’histoire personnelle de Maurice Genevoix est celle d’une impressionnante ascension sociale. L’Excelsior propose une courte biographie du normalien, vétéran de la Grande Guerre, à propos de laquelle il a écrit quatre ouvrages, aujourd’hui regroupés dans le recueil intitulé Ceux de 14 – dont un lui avait déjà valu une nomination pour le prix Goncourt de 1916.

En ressort l’excellence académique de ce Niverais, qui en 1919 atteint de la grippe espagnole, est contraint de regagner sa province d’origine – à laquelle il consacre par ailleurs nombre de ces romans, au point d’en faire un « écrivain régionaliste » pour certains.

Si la plupart de la presse salue la décision du jury, a l’image du Petit Parisien qui affirme que « Genevoix, robuste écrivain […], est un très bon prix Goncourt », d’autre s’avèrent moins convaincus par son choix. C’est le cas de Gaston de Pawlowski, ancien rédacteur en chef du grand quotidien culturel Comœdia, qui publie un article critique dans les pages des Annales politiques et littéraires.

Visiblement irrité par le fait que le prestigieux prix a été attribué à René Maran, écrivain antillais noir, quatre ans auparavant, il reproche aux « Dix » de faire désormais de leur prix une récompense militante, au détriment d’une littérature jugée plus noble.

« Si M. Maurice Genevoix n’est point nègre, − ce qui vaudrait mieux, évidemment, pour l’Académie Goncourt − il appartient tout au moins à une région spéciale de la France à laquelle il paraît fortement attaché : il habite Châteauneuf-sur-Loire, et aime passionnément la Sologne, où le retiennent encore ses blessures de guerre.

C’est donc, en quelque sorte, un écrivain régionaliste, ce qui suffit à rassurer les membres de l’Académie Goncourt, qui tient à garder la prééminence en tant qu’écrivains généraux. […]

Après la brousse africaine, après les marais de la Brière, voici donc les régions de chasse de la Sologne ; le Prix Goncourt, si cela continue, pourra être décerné par la Société de Géographie. »

Un an après, Comœdia retrouve l’écrivain, à l’occasion de la publication de son roman La Boîte à pêche, dans lequel il « peint la Loire et ses pêcheurs ». Lorsque le quotidien lui demande ce qu’il prépare, Genevoix explique les effets de son récent succès littéraire :

« Deux éditions de luxe de Raboliot sont actuellement en préparation après celle de Rémi des Ranches [sic], ornée par André Deslignères, que vient de publier Marcel Seheur : l’une pour la société des bibliophiles, avec des aquarelles de Mehent, gravées par Beltrand; l’autre que publiera l’an prochain une maison orléanaise, l’imprimerie Martin-Pigelet. Ce sera une édition très attentivement préparée […].

Également en projet à courte échéance, une édition illustrée de Raboliot. »

Genevoix est aujourd’hui considéré comme l’un des grands auteurs français du XXe siècle. Son impressionnante et imposante bibliographie lui a valu de rentrer à l’Académie française en 1946 et d’en devenir le secrétaire perpétuel en 1958. Il s’éteint en 1980 dans sa résidence secondaire en Espagne.

À l’occasion du centenaire de l’armistice de la Grande Guerre, le Président Emmanuel Macron annonçait son intention de faire transférer ses cendres au Panthéon. Initialement prévu pour le 11 novembre 2019, le transport sera finalement effectué l’année prochaine, le 11 novembre 2020.

Pour en savoir plus :

Maurice Genevoix, Raboliot, Grasset, 1925

Bernard Maris, L’Homme dans la guerre. Maurice Genevoix face à Ernst Jünger, Grasset, 2013

Jacques Tassin, La Vie selon Genevoix, Éditions du Petit Pavé, 2018